Recruter des clients
Régulièrement, j’entends mes interlocuteurs
prononcer cette phrase : « Il faut recruter des clients, c’est essentiel
pour notre survie/notre développement ».
Comme
ils ont raison !
Même l’entreprise qui ne souhaite pas
développer ses parts de marché ou augmenter son activité doit « recruter
des clients » si elle ne veut pas régresser. Un portefeuille clients, c’est
une baignoire qui fuit. Pour stabiliser le niveau, il faut que le robinet
fournisse de l’eau au moins à proportion équivalente à celle
qui s’en va dans les canalisations. Idem pour nos clients, il faut en « recruter »
au moins autant que ceux qui s’en vont pour stabiliser le CA, et plus encore
pour l’augmenter. Et des clients qui s’en vont, c’est inévitable :
déception, érosion de la relation, disparition – retraite, liquidation…
J’ai
écrit au début du paragraphe précédent « Comme ils ont raison ! ».
Mais pas tout à fait. À un détail près : on ne « recrute pas »
des clients, on « se fait recruter » par des clients.
J’ai une conviction : la manière dont
on exprime une idée a un impact sur la manière dont on la concrétise…Quelque
chose de l’ordre de l’autoréalisation. Penser que l’on doit recruter des
clients nous met très inconsciemment, pernicieusement, en situation de ceux qui
ont le pouvoir de décision. Lorsque je suis le décideur, le juge unique et
souverain, la manière d’envisager une situation n’est pas la même que lorsque
je sais que c’est « l’autre » qui décidera. Dans la vente, c’est bien
le cas : c’est le client qui décide in fine. Nous ne pouvons que l’encourager,
l’aider, l’inviter à…Mais pas lui tenir le stylo pour qu’il signe le bon de
commande. À moins de nous transformer en mercenaire.
Pourtant, à chaque fois que nous évoquons la
nécessité de recruter des clients, nous nous positionnons comme ceux qui décident :
nous minimisons les actions nécessaires à entreprendre pour convaincre un
client de nous faire confiance, donc de nous recruter. Notre prise de contact
est souvent moins tonique, notre découverte moins approfondie, notre écoute
moins empathique, notre proposition moins ciblée, nos arguments moins personnalisés,
notre gestion des objections moins sereine, la négociation moins maîtrisée…
Ces « moins » ne sont que la résultante de quelques basiques oubliés
en route. Non pas que nous ne les connaissions pas, mais plus sûrement parce
que notre cerveau nous invite à les laisser au placard : « N’oublie
pas mon grand, c’est toi qui recrutes…Le client doit nous mériter ! »
Quelle erreur !
Je vous propose l’exercice suivant :
imaginons que je sois doté d’un pouvoir maléfique et que d’un claquement de doigts
- Clac ! C’est fait ! – je fasse disparaître dans le néant votre
entreprise. Pas vous…Vous, vous existez toujours. C’est votre entreprise qui a
disparu : le siège, les points de vente, les entrepôts, les succursales,
les stocks, les outils de production…Tout a disparu ! En fonction de la
fréquence d’achat de vos clients, ils s’en apercevront immédiatement : « Tiens !
Mais où est donc passée la boulangerie ? » ou plus tardivement : « Je
voulais recommander une imprimante mais la ligne téléphonique ne répond plus,
le site internet n’existe plus et sur Info greffe, il y a une alerte
« disparition ». Passé la surprise et le lot de : « Que s’est-il
passé ? », « On est peu de chose », « Vanité des
vanités, tout n’est que vanité », vos clients trouveront un autre
fournisseur. Dans le cas de la boulangerie, le temps de faire 100 mètres ;
pour une imprimante, le temps d’ouvrir un compte chez un nouveau fournisseur… Il
y a fort à parier, que pour 90% de nos clients, notre disparition sera rangée dans
la case « non évènement » ou « souvenir digéré » en quelques
jours…Au plus, quelques semaines. Pour les 10% restant, pour qui la prestation
que vous proposez correspond à une « niche », quelques mois
suffiront ! Le Directeur général d’une entreprise d’infographie déclarait
lors d’une convention devant l’ensemble de son personnel : « Respectons
nos clients, car dans le cas contraire, ils nous quitteront et n’auront aucun
mal à trouver un nouveau fournisseur. » Il poursuivait avec un zeste de
provocation : « Il y a cinq ans, lorsqu’on donnait un coup de pied
dans une poubelle, dix infographistes en sortaient. Aujourd’hui, le même coup
de pied en fait sortir cent ! Pas que des bons, mais quand même !! »
Alors ne nous trompons pas, nous avons mille
fois plus besoin de nos clients que nos clients ont besoin de nous. Combien de
temps pour se faire recruter par un client qui nous quitte ? Et combien de
temps faudra-t-il pour que ce client recrute un autre fournisseur ?
Dans une relation commerciale, les efforts à
faire le sont avant tout par celui qui a le plus besoin de l’autre. Lorsque Monsieur
Dupont gagne 100 millions d’euros à la loterie nationale, les banquiers lui
font la danse du ventre pour obtenir un rendez-vous et sa confiance et ne
s’offusquent pas d’un retard de trente minutes. En revanche, lorsque Monsieur
Dupont a besoin d’un prêt de 100 000 € alors que ses revenus, sa capacité
d’endettement, sa situation professionnelle et son historique bancaire ne
jouent pas en sa faveur, c’est lui qui s’adapte à son banquier en riant aux
blagues éculées de celui-ci. Monsieur Dupont a intuitivement compris que le
pouvoir de décision était dans le camp des banquiers et que ne pas obtenir son
prêt serait beaucoup plus dommageable pour lui que pour la banque…
Projetons-nous trois mois après mon
« clac » maléfique. Nous l’avons compris, nos clients seront
depuis bien longtemps retombés sur leurs pattes. Et nous ?
Combien d’entre nous auront retrouvé un
emploi équivalent en intérêt et rémunération ? 5% ? Dix, peut-être…Vingt ?
Probablement pas ! Et six mois plus tard, combien, nécessité faisant loi,
auront accepté un emploi un peu moins intéressant, un peu moins payé ou beaucoup
plus loin que l’ancien ? Et un an plus tard, combien seront toujours en
quête d’un emploi ? Pas facile de trouver un poste de directeur marketing,
de comptable ou d’assistante administrative…
Il ne
s’agit pas de se positionner comme fournisseur servile et malléable dont la
survie ne dépendrait que du bon vouloir des clients. Mais plus simplement de bien
comprendre notre position pour ne pas prendre le risque de sembler un peu
hautain !
Entre la servilité obséquieuse qui
supplie : « Achetez-moi ! » et l’arrogance hautaine qui
éloigne : « Vous vendre ? Si je veux ! », il y a de la
place pour un juste positionnement responsable, respectueux du client et de soi
: la relation équilibrée.
Et vous qu’en pensez-vous ?
Bonnes réflexions.