Que le manège s'arrête !

Vincent est directeur d’un laboratoire médical, et lors de notre dernière rencontre il me disait : « Vraiment, cela nous ferait du bien à tous : un peu de stabilité, pouvoir se reposer un moment sur des acquis, des procédures rodées. Oui, vraiment, cela ferait du bien à tout le monde que le manège s’arrête un peu ! »

 

    Hélas…ou heureusement, les changements, les évolutions dans notre société sont inexorables … et perpétuels.

 

    Prenons un peu de distance et interrogeons-nous sur le sens de ces changements.

 

    D’abord, les évolutions et les changements sont intimement liés à l’histoire humaine, depuis que « l’homme est homme ». Ou, en tout cas, depuis que l’homme essaie d’être, justement, un homme. Pierre Dac disait avec cette causticité dont il était maître : « On a trouvé le chaînon manquant entre le singe et l’homme … c’est NOUS ! ». 

 

    Ensuite, dans la nature, il n’existe pas d’éléments figés : on croît ou on décroît, on progresse ou on régresse, on vit ou on meurt. Même les alignements mégalithiques de Carnac (- 4000 av. JC) évoluent … à leur rythme. Doucement le matin, pas trop vite l’après-midi.

 

    Et c’est bien ça la difficulté de notre société actuelle et de nos entreprises : l’accélération, voire l’emballement dans certain cas, de l’évolution et des changements. À fond à fond à fond le matin, plus vite plus vite plus vite l’après-midi. Et  cette accélération nous déstabilise souvent, nous fait perdre l’équilibre, parfois…

 

    Mais pourquoi ? Pour quelle raison sommes-nous si perturbés par les évolutions, les changements ?

 

    Parce qu’ils nous obligent à nous adapter, à changer notre vision du monde, de la famille, de l’entreprise, à changer nos manières de procéder, nos habitudes. Bref, à sortir d’une zone de confort, de ronrons…que bien souvent d’ailleurs nous avons rejetée lorsqu’elle incarnait le changement mais que, maintenant digérée, nous apprécions.

 

    Que cette nécessité de changer notre regard, nos habitudes est déstabilisante ! Nous voilà entraînés à aller là où nous ne sommes jamais allés : dans l’inconnu…

    Nous perdons nos points de repères habituels, nos points d’appuis : on fait du vélo sans petites roulettes … avec le risque de chute qu’on imagine. Pas facile de faire confiance et de lâcher prise…mais pas le guidon. 

    Pourtant nous avons accepté que nos parents enlèvent ces fameuses petites roulettes et pris ce risque incroyable de passer d’une position stable et sûre  à un équilibre précaire, une situation casse-gueule !

    Nous avons accepté car tant que nous ne maîtrisions pas le vélo deux roues, les petites roulettes étaient remplacées par Maman qui courait à nos côtés en assurant l’équilibre, par les encouragements sincères de Papa, les explications rassurantes d’un grand frère, le regard bienveillant  et valorisant d’un(e) grand-père/mère, la mise en sûreté de l’exploit par le film que votre grande sœur n’a pas manqué de faire (faut bien des dossiers à projeter le jour de votre mariage…).Bref, le mangement familial avait remplacé les petites roulettes tant que rouler avec seulement deux roues n’était pas devenu un plaisir maîtrisé.

 

    Nos entreprises ont la nécessité d’évoluer tous les jours pour s’adapter au réel qui, lui aussi, évolue : les lois, la concurrence, les attentes de nos clients...

 

    Que faisons-nous pour accompagner nos collaborateurs afin qu’ils ne subissent plus ces évolutions mais en soient acteurs ? Avons-nous conscience que lorsque nous annonçons des évolutions importantes à nos collaborateurs, nous avons en tant que managers été mis dans la confidence quelques mois plus tôt et que nous aussi, avant d’accepter, avons souvent râlé, pesté, contesté, objecté ?

 

    N’oublions-nous jamais que dans le changement l’émotionnel pèse 99  quand le rationnel pèse 1 ? Combien de managers oubliant cette règle ont été déstabilisés en voyant se braquer des collaborateurs à l’annonce d’un changement qui leur semblait être une vraie et bonne nouvelle ! Comme le déménagement dans des locaux plus grands à 50 mètres des anciens bureaux, ou l’annonce à l’enfant unique de trois ans de l’agrandissement de la famille. Pas stupide, pour faire plaisir aux parents, il jubile lors de l’annonce, mais se venge par des caprices, des régressions …Ah, le sournois !

 

    Avons-nous communiqué à nos équipes les éléments inchangés qui rassurent : « On déménage mais tu restes dans la même école et dans le même club de foot » ?

    Prenons- nous le temps de les encourager par une valorisation sincère des primes-essais lors de l’utilisation du nouveau logiciel qui bien que plus ergonomique –si, si, tu verras, dans trois semaines lorsque tu l’auras un peu utilisé… - est, lors de cette première journée d’utilisation, juste insupportable parce que non maîtrisé ?

    Fournissons-nous des explications, des méthodologies rassurantes pour leur permettre d’appréhender ces nouveaux défis avec suffisamment de sérénité ?

    Donnons-nous à nos collaborateurs l’occasion de verbaliser leurs états d’âme, leurs inquiétudes, par une vraie écoute permettant de les évacuer plutôt que de les stocker et de les laisser moisir ?

    Pensons-nous à fêter les succès collectifs et individuels qui émaillent immanquablement les changements et les évolutions, pour renforcer leur motivation et leur sentiment d’appartenance ?

 

    Un vrai et beau travail en soi … de manager.

 

    Et vous qu’en pensez-vous ?

 

    Bonnes réflexions.