Happy birthday to you Mr President !
90 ans !
Les radios, les télévisions, la presse et internet
s’en sont fait l’écho. L’ancien président de la République, Valéry Giscard
d’Estaing, a fêté ses 90 ans le 2 février 2016 !
Happy birthday to you Mr President !
Si j’évoque cet homme, c’est pour partager une anecdote entendue sur France
Inter, et racontée par l’un de ses biographes : Joseph-Jacques JONAS « Giscard de tous les jours », 1978,
Editions Fayolle.
Laissons-lui la parole :
« La légende raconte - mais en est-ce vraiment une ? - qu’en ce
matin du 2 février 1926, lorsqu’Edmond Giscard prit dans ses bras le petit Valéry,
il dit : « Je suis
inspecteur des Finances. Toi, mon fils, tu seras ministre des Finances puis
président de la République ». Mon petit Président deviendra le surnom
affectueux qu’Edmond adoptera pour son fils. Alors qu’il a quatre ans, son
institutrice, le jour de la rentrée, lui demande ce qu’il veut faire plus tard.
Avec aplomb, le petit Valéry lui récite ce qu’il entend depuis toujours à la
maison : « Je ferai l’ENA et ensuite je serai ministre des Finances
et président de la République française ! ». Amusée, son institutrice lui demande : « C’est
quoi un ministre des Finances ? » « Je ne sais pas
Madame » « Ah ? Et un président de la République ? »
« Je ne sais pas Madame ».
En 1953, VGE termine l’ENA. En 1962, il est
nommé ministre des Finances. En 1974, il est élu président de la République.
Certaines mauvaises langues diront qu’en
1962 et 1974, il ne savait toujours pas ce qu’était un ministre des Finances et
un président de la République… Mais ce sont des mauvaises langues !
Mai 2002. François, 30 ans, va
recevoir pour un long week-end de mai trois de ses amis. La joyeuse bande se
connaît depuis l’enfance. Plus que des amis, pour ce pont printanier, ce sont
surtout des papas qu’il reçoit. Stéphane viendra accompagné de ses quatre
garçons, Hubert de ses trois filles et Geoffroy de ses deux gars et de sa
princesse Manon. Avec les trois enfants de François, ils seront treize, âgés de trois à sept ans
et demi. S’ils se retrouvent dans cette situation, c’est que leur orgueil de
mâle a été titillé quelques semaines auparavant par une coalition composée de leurs
femmes respectives. Lors d’un dîner un peu arrosé, elles avaient doctement
déclaré que leurs hommes seraient incapables de s’occuper trois jours de leurs
enfants, sans avoir besoin de les solliciter. Piqués au vif, à l’unisson, ils
avaient répondu : « Chiche ! Qu’est-ce qu’on parie ? ».
Les épouses étaient sacrément préparées :
« Nous dirons à nos mamans que vous êtes les maris les plus géniaux de la
terre. Plus que les leurs ! ».
Alors ça, ça leur plaît aux maris !
Que leurs femmes les mettent sur la plus haute marche du podium devant leur
propre papa ! Les quatre nigauds avaient accepté le deal, sans entr’apercevoir
les ficelles, les cordes, du piège qui peu
à peu se refermait sur leur naïveté. Les quatre épouses s’étaient
regardées, victorieuses, et Jeannie, la femme américaine de Geoffroy, n’avait
pu s’empêcher de dire, pas trop fort, mais suffisamment pour que les garçons
l’entendent et réagissent : « Je vous l’avais dit qu’on l’aurait
notre week-end entre filles. Ça a été encore plus facile que je ne l’imaginais ! »
Les garçons avaient très modérément
apprécié le tour de passe-passe mais
leurs paroles avaient été données. Nigauds sans doute, mais avec un peu
d’honneur, quand même !
Le vendredi 8 mai, à 11 heures, c’est le débarquement.
Les monospaces envahissent l’allée de la maison de François. Les papas se sont
organisés et mis d’accord. L’équilibre alimentaire se régule sur une semaine
entière. Pas sur trois jours. Pour les enfants ce sera nuggets, frites et
bonbons du matin au soir, à volonté, p’tit déj. compris. Pour se désaltérer, le
coca fera l’affaire et l’acidité contenue dans la boisson permettra un nettoyage
des dents par corrosion. Pour les activités, télé, télé et télé. Le troisième
jour, une bataille d’eau fera office de douche avant le retour des mamans. Le
portail de la maison sera fermé pour pallier toute tentative de fugue. OR-GA-NI-SES !
Pour bien commencer le week-end, un apéro
s’impose. Les deux premières bouteilles de bourgogne aligoté sont vite
descendues. François est intrigué :
Clémence, sa fille de 7 ans, ne joue pas
avec les autres enfants. Elle est assise par terre, à une dizaine de mètres des
papas. Elle leur tourne le dos, mais régulièrement, jette un regard mi-inquiet,
mi-interrogatif à son papa. Un regard qui semble dire : « Il est
possible que je sois en train de faire une bêtise, mais je n’en suis pas
totalement sûre ».
François sent bien qu’en père
responsable, il serait bon qu’il se lève pour aller juger de plus près la
situation. Mais le plaisir de picoler avec ses amis l’emporte sur son devoir de
père. Finalement, l’occasion pour François de se lever arrive presque
naturellement. Geoffroy a besoin de remplir pour la quatrième fois son verre.
Ses papilles apprécient le bourgogne. « Balles neuves ! »
lance-t-il en riant de sa formule. François est ravi que la sollicitation
vienne de quelqu’un d’autre que lui. Lui aussi a envie de passer au deuxième
set, mais il préfère être celui qui se contente d’obéir en allant chercher les
nouvelles bouteilles, plutôt que celui qui exprime le projet…et endosse le
costume de l’alcoolo du week-end. En se rendant à la cave, François s’offre le
luxe d’un détour d’une dizaine de mètres pour comprendre ce qui occupe autant
sa fille. En découvrant ce qu’elle fait consciencieusement, une vague de dégoût
l’envahit. Clémence a trouvé le cadavre d’un petit rongeur. Minutieusement, à
l’aide de brindilles et probablement de ses doigts, elle s’occupe à disséquer
la bête. François s’entend déjà hurler : « Lâche ça Clémence !
C’est dégueulasse. Et va te laver les mains. Cinq minutes au moins. On ne peut
pas te faire confiance. Tu es la plus grande et au lieu de te comporter comme
la grande sœur du groupe, tu as mis en route l’usine à conneries ! ».
François s’entend hurler...mais il ne hurle
pas. Car après la réaction de dégoût, c’est l’admiration qui prend le relais avant
même que les mots aient franchi le seuil de ses lèvres. François est gauche. Sa
femme lui rappelle sans cesse : « Tu es ambidextre maladroit, et tu
n’as que des pouces, mais je t’aime quand même. » Et François le
sait : tout ce qui passe entre ses mains est en danger imminent de casse.
Aussi, est-il encore plus admiratif de voir la précision des gestes de sa
fille. Clémence a perçu l’admiration dans le regard de son père et lui fait
part de ses découvertes : « Tu vois Papa, ça c’est l’intestin ;
ce petit truc, je pense que c’est le cœur, et les deux machins un peu roses et
écrasés, les poumons ».
Clémence est fière d’elle parce que François
est fier de sa fille : « Ma chérie, c’est magnifique la nature !
Et avec quelle précision tu as séparé les organes les uns des autres. Tu sais,
lorsque je serai un vieux monsieur, si je dois me faire opérer à cœur ouvert, j’aimerais
que ce soit par une chirurgienne aussi habile que toi ! ».
Un câlin et chacun repart à ses
occupations. Gustatives pour François, exploratrices pour Clémence.
A 23h00, François va embrasser
Clémence dans son lit :
- Papa que faut-il
faire pour devenir chirurgienne ?
- Il faut d’abord devenir médecin
et ensuite poursuivre par des études de chirurgie. Enfin, je crois…
-C’est long ?
-Oui, un peu… Au moins dix ans
d’études après le bac. Et c’est difficile aussi. Mais si tu veux...tu y parviendras
ma fille !
François embrasse tendrement
Clémence. La voix d’Hubert est parvenue à plusieurs reprises à ses
oreilles :
- François, magne-toi. On t’attend
pour la belote et la poire !
10 ans après le bac !
Clémence essaie de calculer. « J’ai sept ans… Je suis en CE1…Le bac c’est
vers les …17 ans…Si je fais comme mon cousin…Plus dix…Ca fait à peu près 27
ans ! C’est dans 20 ans !».
Le tournis ! Un Everest insurmontable
pour cette petite bonne femme …
Février
2016. Clémence est une belle jeune fille de 22 ans. Elle a renoncé à des études
de médecine. Un stage en troisième chez une avocate lui a transmis le virus
juridique. Clémence a terminé son master en droit privé. Cette année, elle
prépare le concours d’entrée à l’EM. L’école de la magistrature à
Bordeaux !
C’est un concours difficile. Beaucoup de
prétendants, peu d’élus. Clémence est sereine. Elle fait ce qu’il faut pour
être reçue. Elle travaille beaucoup. Lorsqu’on lui demande les raisons de cet
optimisme, elle raconte un souvenir d’enfance : « J’avais sept ans…et
je m’amusais à … ». La suite, vous la connaissez.
Sans le savoir, François a ouvert un niveau
d’ambition possible pour Clémence. Elle a entendu de la bouche de son père que oui,
chirurgienne, c’était à sa portée. Mais il n’en a pas fait un projet castrateur.
« Chirurgienne, je t’aime…autre chose…je ne t’aime pas ». Rien de plus
qu’une proposition que Clémence a adoptée jusqu’à ce qu’elle rencontre son
avocate. Lorsque en terminale le projet de Clémence s’est affiné :
« Je ne serai pas avocate mais magistrat », les sept ans d’études ne
l’ont pas fait vaciller. Dans son monde, elle a la certitude depuis bien
longtemps qu’elle en est capable. Elle le sait, parce qu’un homme qui l’aime
lui a dit un soir d’une belle journée de printemps.
Que nous disent ces deux anecdotes ?
Elles nous aident à (re)prendre conscience qu’au-delà des qualités intrinsèques
de chacun, l’avenir d’une personne dépend aussi du regard d’un interlocuteur
crédible.
Crédible affectueusement, relationnellement
et/ou techniquement ! Un regard porteur d’un projet qui devient
intéressant, passionnant car chemin de vie possible. Autant que le projet, le
regard, les mots devront permettre à nos enfants, nos amis, nos collaborateurs,
de prendre confiance dans l’avenir. Dans leur avenir. Car ce projet d’avenir
qu’ils percevront non pas comme une utopie mais comme un possible…vraiment possible…leur
donnera l’appétit du lendemain. Un lendemain synonyme d’avancée vers un futur
passionnant parce que rempli de promesses d’apprentissage et de fierté.
Naturellement, la seule proposition d’un
projet ne suffira pas…Il faudra l’accompagner. Mais comme le dit cette phrase attribuée
à Sénèque : « Il n’y a pas de bons vents pour le marin qui ne sait pas où il va.”
Lorsqu’un collaborateur est en panne, pensons-nous
à lui proposer un projet au travers duquel il pourra se voir « beau » ?
Et lorsque l’entreprise patine un
peu et s’épuise à régler les problèmes du quotidien, n’est-ce pas le signe
qu’elle ne dispose pas d’un projet mobilisateur ? Sans projet
mobilisateur, quelles étincelles dans les yeux des dirigeants ? Et si les
regards des dirigeants sont ternes, quelle énergie transmettrons-nous aux
collaborateurs ? Et nous le savons, sans énergie, sans motivation, pas de
performance !
Marie-José Perec est sans doute
celle qui a le mieux exprimé cette idée. « La gazelle », qui par son palmarès est la plus brillante athlète française
d'après-guerre, avec notamment trois médailles d’or en athlétisme aux Jeux olympiques, répondait à un journaliste qui lui demandait : « Pour
vous, c’est quoi un entraîneur ? »
-Un entraîneur … Un entraîneur, c’est bien sûr une personne qui aime
le sport pour lequel il entraîne. Un entraîneur, c’est une personne exigeante, précise, pédagogique, valorisante…C’est
tout ça un entraîneur…Mais des entraîneurs comme ça, il y en a des centaines.
Et si je n’avais rencontré que des entraîneurs comme ça, je n’aurais
probablement pas eu autre chose qu’une carrière à l’échelon régional. J’ai eu
la chance dans ma carrière de rencontrer des entraîneurs fabuleux qui avaient un
truc de plus. Notamment John Smith. Alors je vais vous dire ce qu’avant tout
est un entraîneur qui fera avec une personne assez ordinaire –à mon époque des
Marie-José Perec, il y en avait potentiellement 500 en métropole-, un palmarès
extraordinaire.
Un entraîneur,
c’est avant tout une personne dans les yeux duquel on perçoit, ou dans les paroles
duquel on entend, un projet qu’on n’avait jamais osé imaginer ou un rêve auquel
on avait renoncé ».
Et vous,
qu’en pensez-vous ?
Bonnes
réflexions.