« Monsieur, votre masque s’il vous plaît ! »

     Oui, ce billet est un coup de gueule !

 

    J’ai fait l’expérience suivante : un mardi après-midi, je suis rentré dans dix commerces de la rue principale d’une petite ville : parfumerie, chausseur, habilleur, fleuriste, quincaillerie, arts de la table, fournitures informatiques, librairie, parapharmacie… Des magasins de libre-service assisté, d’une superficie comprise entre 60 et 150 m2.

   Généralement plus d’employés que de clients lors de mon passage.

   Volontairement, j’avais omis de mettre mon masque.

 

   Le mardi suivant, je suis retourné dans les mêmes commerces. Toujours peu de clients. Cette fois-ci, j’étais équipé de mon masque.

   Lors de mes visites visage nu – ce n’est pas encore considéré comme un attentat à la pudeur -, j’ai systématiquement été accueilli par des voix fortes, assurées, lointaines, directives et souvent polies : « Monsieur, votre masque s’il vous plaît » Mais parfois aussi teintées d’agressivité … Une fois, même : « Ça ne vous gêne pas de ne pas porter votre masque ? », suivi d’une remarque à un client discipliné : « Y’en a quand même, ils se croivent(1) tout permis ! »

   Accueil de classe mondiale !

   Bref, temps de réaction à la situation anormale que j’ai volontairement créée : entre quelques nanosecondes (10 -9 seconde, c’est hyper rapide) et dix secondes.

   Je repars un peu échaudé par une presque brutalité dans la manière de procéder… Le fond, ok ; la forme, à revoir !

  

   Le mardi suivant, rebelote. Je reviens dans les mêmes commerces, mais cette fois déguisé en bon citoyen masqué.

   Passé deux minutes dans les lieux de vente : rien ! Ni « Bonjour » et encore moins une prise de contact personnalisé !

   Quatrième minute : dans deux magasins, un.e vendeur.se vient à ma rencontre : « Je peux vous aider ? » Ok, ce n’est pas génial d’aborder un client avec une question fermée, mais la démarche d’aller à la rencontre du client est là ! Tardivement. Très tardivement… Probablement dans la vraie vie, trop tardivement, mais là malgré tout.

   Dans un autre magasin, il faudra attendre 7 minutes. Je prends un produit dans les mains, je le photographie, je le repose, je le reprends…Bref, je m’agite pour provoquer un tardif : « Vous avez besoin de quelque chose ? »

   Dans sept magasins… rien. Désert relationnel.

   Après dix minutes, je quitte les lieux.

 

   Le pompon de la pomponette : dans l’un des magasins muets, un vendeur est assis derrière la caisse, totalement aspiré par sa lecture : « Vendre avec les couleurs »(2)

   Je cauchemarde éveillé !

   Dans un autre, alors que je suis à deux mètres de la sortie, un vendeur se réveille : « Vous aviez besoin de quelque chose ? » me dit-il en regardant un document dans ses mains. Tiens, il a utilisé l’imparfait et il a raison : j’avais besoin de quelque chose. Peut-être en ai-je toujours besoin… Mais ce commerce ne sera pas la pince à épiler pour mon écharde ! J’irai acheter chez un commerçant qui a envie de me servir…

 

   Soyons clairs, loin de moi l’idée de blâmer les vendeurs surinvestis sur leur mission anti-covid ! Est-ce un combat utile ou pas, je laisse chacun à son avis, qui dans le cadre de ce billet ne m’intéresse pas vraiment.

   En revanche, j’ai été très contrarié par l’absence ou la lenteur à appliquer le basique numéro 1 de tout fournisseur envers un potentiel client : l’accueillir pour lui manifester qu’il est considéré, que nous sommes là pour lui et que nous sommes prêts à l’aider dans sa démarche.

   Pourquoi un tel décalage entre la sur-réactivité pour évoquer le non-port du masque et la quasi-absence ou/et la lenteur quant à l’accueil du client ?

 

   Quelques hypothèses qui peuvent en se cumulant donner une explication globale :

 

   1. D’abord, une exigence managériale claire, précise et expliquée concernant le port du masque par les clients. On peut imaginer le gérant avoir communiqué : « À partir de lundi, chaque client qui entre dans le magasin doit porter le masque. Je vous demande donc de regarder les clients et si vous constatez que l’un d’eux en est démuni, merci de lui demander de le mettre…S’il ne le met pas, il ne peut pas entrer. C’est important, en cas de contrôle nous risquons une amende de plusieurs centaines d’euros ».

  

   2.   Ensuite, une exigence managériale pilotée : « Paulo, hier à plusieurs reprises, j’ai dû te demander d’être plus vigilant quant à l’importance de régulièrement diriger ton regard vers l’entrée du magasin. De plus, tu as mis une dizaine de minutes à réagir lorsqu’un client a enlevé son masque dans le rayon BD ! Tu corriges ça, je compte sur toi ! »

  

   3. Parfois, une croyance du manager plus forte dans le risque financier à ne pas faire porter le masque que dans les gains à accueillir les clients. Ce qui naturellement le pousse à exiger et manager le premier risque et à survoler de loin la possibilité du gain en accueillant les clients. Avec, naturellement, des collaborateurs qui s’impliquent là où l’exigence managériale explicite est managée conformément à l’adage : « Les collaborateurs s’investissent sur ce qui est important pour le manager… Et ce qui est important, ce n’est pas ce que le manager dit être important mais ce qu’il regarde ».

  

   4. Eventuellement, des vendeurs qui ont plus de plaisir à faire appliquer la loi dans leur point de vente qu’à accueillir les clients… Hum hum !

 

   Pour terminer, peut-être pensez-vous que ce n’est pas si grave de ne pas accueillir et qu’un billet sur ce sujet, c’est too much ?

   Peut-être pensez-vous que le business ne se joue pas là, mais plus sur le merchandising, le marketing, l’ameublement, l’harmonie des couleurs, la signalétique, le positionnement prix… ?

   Oui, vous avez raison, c’est important !

   Pour autant, il est aussi naïf de penser qu’un joueur de tennis gagnera son match car sa raquette est adaptée à son jeu, ses chaussures fabriquées sur mesure, des spectateurs acquis à sa cause alors que ce joueur reste dans les vestiaires, que de penser qu’un commerce fonctionnera sans l’implication réactive de chaque vendeur dans l’accueil des clients… Certes, ça ne suffira pas… Mais sans accueil, ce sera la faillite assurée…

 

   Dans chaque métier, pour chaque mission, il y a des équivalents de ce basique d’accueil identifiés pour le commerce de détail. Ces petits gestes, ces attitudes qui demandent peu de compétence mais beaucoup de rigueur pour les appliquer systématiquement et qui, s’ils ne suffisent pas à réussir, conditionnent la possibilité de succès.

 

 

   Et vous, qu’en pensez-vous ?

   Bonnes réflexions ! 

 

 

 

    (1)     : Authentique

    (2) : « Vendre avec les couleurs : quand votre agilité comportementale booste vos techniques de vente (Editions Dunod) »

« Les couleurs » : une « technique » pour reconnaître rapidement le profil psychologique des clients et adapter la relation à ses besoins... Bien, bien, bien…Euh…Non, rien !