Salopard !
L’agressivité est persona non grata dans les relations interpersonnelles dans l’entreprise.
Du PDG envers le stagiaire de troisième et réciproquement…
Du manager envers ses collaborateurs et réciproquement…
Du commercial envers son client et réciproquement…
Du service marketing envers le service logistique et réciproquement…
De Valérie envers Jordan et réciproquement…
D’un salarié envers un prestaire externe et réciproquement…
Evidemment, l’agressivité ne doit pas, ne peut pas être la bienvenue dans les familles, dans les associations, dans la rue…
Nous allons dans ce billet nous focaliser sur l’agressivité au sein des entreprises, dans la vie professionnelle.
Je n’ai jamais rencontré un collaborateur d’une entreprise – de l’alternant au PDG – qui confesse être parfois agressif. En revanche, j’ai rencontré de nombreux collaborateurs me confiant que leur(s) collègue(s), leur manager pouvaient parfois l’être.
Pour quelles raisons l’agressivité ne doit-elle pas être tolérée dans les entreprises ?
Au-delà du fait qu’elle propage un…. Enfin, que les personnes agressives propagent un climat tendu, anxiogène, délétère ne favorisant pas la performance, des raisons plus sérieuses encore justifient qu’on la boute, qu’on recadre fermement les personnes agressives ou qu’on les repousse en dehors de l’entreprise.
La première responsabilité d’une entreprise est de s’assurer de la sécurité physique, morale, psychique de ses collaborateurs. C’est pour cette raison que les entreprises équipent leurs collaborateurs d’EPI (Equipement de Protection Individuelle) lorsqu’ils travaillent dans des environnement reconnus potentiellement accidentogènes : chaussures de sécurité, lunettes de protection, gilets fluorescents, bouchons d’oreilles, gants, véhicules entretenus…
Naturellement, en dehors de toute contrainte juridique, la majorité des entreprises aurait l’humanité de ne pas laisser leurs collaborateurs vivre dangereusement au risque de se blesser, de se tuer.
Mais le législateur a prévu des obligations. La médecine et l’inspection du travail notamment, veillent au grain.
Les entreprises, en plus de faire preuve d’humanité, sont généralement consciencieuses car tout manquement remarqué par une autorité peut donner lieu à des sanctions « mineures » – amende, fermeture administrative – ou majeures en cas de blessures graves, voire de décès – peine d’emprisonnement -
De plus, et c’est bien, les salariés sont informés de l’existence d’un « droit de retrait » et de la manière de l’exercer s’ils pressentent un danger mettant en jeu leur intégrité physique.
Un routier qui refuse de démarrer son camion car le contrôle technique n’est pas à jour, ou un technicien de maintenance qui n’accepte pas de se rendre sur un chantier car l’entreprise ne lui fournit pas les chaussures de sécurité nécessaires, au-delà de démontrer une attitude responsable, contraignent l’entreprise à être à la hauteur de ses devoirs car les conséquences financières de l’absence de production peuvent l’affaiblir sur son marché.
Mais une personne, ce n’est pas qu’une enveloppe charnelle qui doit repartir à la fin de sa journée de travail dans le même état que lorsqu’elle l’a débutée.
C’est aussi une entité douée d’une conscience morale et d’une sensibilité psychologique.
Lorsqu’un employé se blesse faute de respect des consignes de sécurité ou parce qu’il n’a pas exercé son droit de retrait, c’est visible ou entendable :
- par des cris, du sang, des contusions, l’arrivée des secours pour ceux qui ont assisté à l’accident.
- par l’absence du collaborateur – oui, l’absence se « voit »
- durant l’arrêt de travail, voire par la lecture du faire-part de décès ou la visualisation du cercueil…
S’assurer de l’intégrité physique de ses collaborateurs, ce n’est pas autre chose que les protéger d’un environnement agressif et possiblement blessant, tueur.
Mais focaliser son attention sur la chair, sur l’organisme pour les protéger, c’est ne faire que la moitié du travail.
Lorsque l’on souffre, ce n’est pas seulement parce qu’on nous a donné un coup de pied dans le tibia ou parce que nous avons maladroitement ou/et bêtement appuyé nos mains contre une plaque chauffée à blanc.
On souffre aussi parce que notre dignité est malmenée.
Et ça, c’est parfois moins visible.
Trop souvent, cette agression-là est moins bien perçue par les managers qui tardent alors à réagir… Voire ne sont plus en situation de réagir lorsque, sur la pointe des pieds ou dans un fracas assourdissant, les collaborateurs agressés quittent l’entreprise.
Cette agressivité qui ne s’en prend pas directement au corps, nous l’avons segmentée :
· L’agressivité passive
· L’agressivité active
· L’agressivité indirecte
Nous n’évoquerons pas l’agressivité physique – coups, gestes déplacés, agressions sexuelles, viols –, ni l’agressivité verbale – propos racistes, xénophobes, homophobes - car ceux qui s’en rendent coupables posent des actes délictuels ou criminels.
Les deux premières réactions quasi simultanées de l’entreprise doivent être de :
•protéger la victime, la faire accompagner psychologiquement et physiquement par des professionnels de santé et lui faciliter toutes les démarches juridiques - dépôt de plaintes…
•exclure le collaborateur par une mise à pied à titre conservatoire, et si l’agression est de nature pénale, se rendre au commissariat ou à la gendarmerie pour déposer une plainte ou faire connaître les agissements aux autorités.
Que penser en 2024 d’une entreprise qui mollirait dans la manière de gérer une agression verbale de type raciste, sexiste ou homophobe en prétextant que celui qui a proféré ces insultes :
•est fatigué et qu’il faut donc l’excuser
•a fait preuve d’un humour maladroit et qu’il faut savoir pardonner
•est dans l’entreprise depuis 30 ans ou/et est en situation de handicap, ou/et est « protégé » par un mandat et est donc invirable
•a un poste stratégique et est donc irremplaçable… ?
On penserait que ces dirigeants, ces managers qui raisonnent ainsi disent que la protection des salopards (1) et l’intérêt économique de l’entreprise priment sur le respect inconditionnel absolu, la dignité admirable de chaque personne. Et en agissant ainsi, ils deviendraient les co-responsables des agressions suivantes et iraient grossir le clan des salopards (1).
L’agressivité passive, c’est agresser le collaborateur par le mépris de l’indifférence. C’est nier son humanité en niant sa vie. C’est la mise au placard, la mort blanche. C’est l’équivalent de parents qui ne frappent pas leurs enfants mais qui les abandonnent à leur sort… Ils n’ont pas activement fait mal, ils ont laissé le temps s’en charger en s’éloignant relationnellement de leurs enfants.
Dans l’entreprise, l’agressivité passive, c’est notamment :
•ne plus dire bonjour
•l’absence de politesse : s’il te plaît, merci …
•ne plus donner de travail.
•ne plus convier au temps collectif -réunions, temps de convivialité – ou faire en sorte de les organiser en sachant que le collaborateur ne pourra pas y être présent.
•ne pas rencontrer son collaborateur pour lui faire un retour sur son travail et l’écouter sur son ressenti professionnel a minima une fois par an.
•ne pas réagir à une situation agressive en gérant la situation avec l’agresseur et l’agressé : c’est une attitude déplorable, inexcusable et gravement fautive.
L’agressivité active, c’est agresser le collaborateur par des actes qui, sur le fond, peuvent sembler justes, mais pour lesquels la forme est destructrice de la dignité, de l’intégrité de la personne qui les vit, ou agir en vue de faire souffrir :
Concrètement, c’est notamment adopter les comportements suivants en abordant des sujets difficiles :
•absence de résultats
•erreurs aux conséquences graves
•hors-jeux répétitifs
•agressivité verbale du collaborateur – ce qui ne m’autorise pas en tant que manager à adopter le même comportement fautif que lui.
Concrètement, l’agressivité active c’est :
•gérer ces sujets en public : ce n’est pas du management, c’est une agression qui humilie
•ne pas frapper et ne pas attendre quelques secondes avant d’entrer dans le bureau du collaborateur
•augmenter la hauteur de voix
•accélérer le débit verbal.
•dégrader son vocabulaire
•envahir sa zone d’intimité : je lui parle à 5 cm du visage
•violer son espace personnel – casier, vestiaire…
•porter de fausses accusations…
•créer les conditions de sa solitude, soit en l’isolant physiquement, soit en demandant aux autres collaborateurs de ne pas le rencontrer, en distillant subliminalement : « Si tu n’obéis pas, tu es contre moi. Si tu es contre moi, tu es mon ennemi. Si tu es mon ennemi, regarde comme je m’en occupe ».
Concernant le débit verbal et la hauteur de voix, le sujet n’est pas : est-ce que nous parlons
•vite et fort
•ou lentement et doucement
•ou fort et lentement
•ou vite et doucement… ?
Mais est-ce nous nous exprimons plus rapidement et d’une voix plus forte que d’habitude ?
Naturellement, ceci est vrai uniquement sur des sujets tendus, comme ceux qui ont été évoqués plus haut.
Sur des sujets positifs – une annonce de bons résultats, d’un client gagné, une augmentation – parler plus rapidement et fort qu’à son habitude, ce n’est pas de l’agressivité mais de l’enthousiasme.
Rien à voir.
On a rarement vu des parents dire à l’enfant de cinq ans, découvrant le matin de Noël le vélo dont il rêve depuis des mois, et manifestant sa joie, son enthousiasme en augmentant les décibels et en appuyant sur la pédale d’accélération de sa parole : « On se calme mon garçon, on se calme… Je n’aime pas du tout du tout du tout cette agressivité ! »
Enfin, l’agressivité indirecte, c’est atteindre une personne en utilisant une bande du billard – souvent un autre collaborateur « relayeur » avant de l’impacter. Il s’agit essentiellement :
•de répandre des commérages en les sachant infondés pour détruire l’honneur d’une personne : c’est la calomnie.
•de confier à des personnes qui n’ont pas à le savoir des informations personnelles concernant le salarié, à plus forte raison lorsqu’elles sont dévalorisantes : c’est la médisance. « Tu sais qu’il a fait de la prison… Je ne t’ai rien dit ! Trafic de drogue… Je ne t’ai rien dit… Cinq ans de placard… Mais cela ne nous regarde pas… »
Il est essentiel qu’en tant que managers nous sachions ce que sont précisément des comportements agressifs et les reconnaître.
D’abord pour que l’on se surveille soi-même.
On peut avoir envie d’être agressif envers une personne, mais si notre conscience est éclairée quant à ce qu’elle est, nous entendrons plus facilement les alertes de notre cerveau qui nous dira : « Tu es un homme, pas un animal. Comporte-toi en homme ».
Le manager a le devoir de ne pas être agressif, de protéger par anticipation l’ensemble de son équipe en mettant en place un management pro-actif qui limite les situations tendues. Et lorsque, malgré tout, des agressions sont constatées, de gérer les agresseurs et secourir les agressés.
L’entreprise n’est pas toujours un long fleuve tranquille et des mécontentements peuvent apparaître. On peut vivre des situations de fortes tensions et devoir en faire part à un collaborateur, quel qu’il soit.
Si tout peut-être dit sur le fond, la forme quant à elle doit être irréprochable.
Ainsi le message aura de plus fortes chances d’être entendu, mais surtout, la sécurité psychique de la personne à qui s’adresse le message sera préservée.
Dans toute relation, nous avons toujours deux devoirs :
•respecter inconditionnellement notre interlocuteur
•se faire respecter inconditionnellement
Si je suis agressé, me faire respecter sans agresser à mon tour. Pas facile !
Il n’y a pas de choses sacrées dans l’entreprise. Seules les personnes le sont.
L’agressivité, c’est piétiner le sacré.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Bonne réflexion !
(1) : Salopard ! Mais c’est agressif, non ? Non, c’est éventuellement grossier. Ce serait agressif si « salopard » s’adressait à une personne précise.