Je mérite la légion d'honneur

    Moulinette sur Veule, le 1er janvier 2025

 

 

 Monsieur le Président,

 

   Je vous fais part de mon étonnement, de mon incompréhension et de ma déception. J’ai pris connaissance ce matin, à la lecture du Journal officiel, des personnes à qui sera remise la Légion d’honneur en 2025.

   Je n’y ai pas trouvé mon nom.

   Je suis allé immédiatement consulter le site de la Chancellerie dans l’espoir d’y lire mon patronyme. Rien ! Macache walou ! Peau d’balle !

   Je pense - j’espère – qu’il s’agit d’un oubli – et non pas d’une sotte plaisanterie d’un goût douteux - que vous aurez à cœur de corriger le plus rapidement possible. Petit distrait que vous êtes !

   Dans l’attente de vous lire, je vous souhaite, Monsieur le

Président, une chouette matinée/après-midi/soirée/nuit

(CF PS1) ensoleillée/venteuse/pluvieuse/orageuse/étoilée/couverte (CF PS 2)

Jean-Claude Petitmalin 

 

PS1 : Je vous laisse rayer les mentions inutiles. Je ne sais pas exactement quand vous lirez ma lettre et ce serait quand même un peu couillon que par flemme je me contente de vous souhaiter une bonne après-midi alors que vous prenez connaissance de mon courrier par exemple à 19h54, ce qui n’est plus du tout l’après-midi mais plutôt le début de la soirée. Si c’est à 21h31, c’est sûr c’est la soirée, mais à 19h54 je ne sais pas trop en fait.

 

PS 2 : Je vous relaisse rerayer les mentions inutiles. Je suis dans l’ignorance du jour exact et du lieu où vos augustes mains tiendront mon courrier à une distance d’environ 50 cm de vos beaux yeux afin que vous en preniez connaissance. Aussi m’est-il impossible d’avoir la certitude de la météo à ce moment M.

 

PS 3 : J’allais oublier : bonne année ! Ça a été le réveillon ? Couché à quelle heure ? Pas trop mal aux cheveux ?

 

 

Jean-Claude Petitmalin

 

 

   Samedi 14 janvier 2025, 11H14, après avoir avalé mon petit- déjeuner. (2)

 

   Dans ma boîte aux lettres a été déposée ce matin par un.e agent.e des PTT plus communément dénommé.e facteur si c’est un garçon ou factrice si c’est une fille, une enveloppe sur laquelle apparaît le logo de la République Française et en dessous, gravées en lettres d’or qui brillent autant qu’un miroir de bordel dans le Far West : Présidence de la République.

   C’est quand même un peu la classe à Arras !

   J’ouvre, comme Aznavour (3) les soirs de première, tranquillement le pli (4), confiant dans ce que je vais découvrir : la date de la remise de ma décoration honorifique et tant méritée.

 

 

 

Paris, Palais de l’Elysée, mardi 10 janvier 2025

 

 

   Cher Monsieur Petitmalin,

 

   Nous avons bien reçu votre lettre et nous vous en remercions. Nous comprenons parfaitement votre déception quant à l'absence de votre nom sur la liste parue dans le Journal officiel des personnes à qui sera remise la Légion d'honneur.

   Naturellement, nous sommes prêts à corriger cette erreur.

   Pour cela, nous vous demandons de nous faire parvenir tous les éléments que vous jugerez nécessaires afin d'établir les faits qui justifient l’octroi de cette distinction.

   Dans l'attente de vous lire, nous vous souhaitons cher Monsieur, un très chouette week-end.

 

   Le Président de la République Française.

Emmanuel Macron

 

PS : J’allais oublier : bonne année ! Ça a été le réveillon ? Couché à quelle heure ? Pas trop mal aux cheveux ?

 

PS 2 : J’allais oublier ! Réveillon très sympa entre potes et avec quelques copines de Brigitte… On a été raisonnables : huîtres, gnocchi à la poêle avec un peu de gruyère fondu – j’aime bien ! Miam-miam ! – Et trois panachés mais avec plus de bière que de limo. Couché à minuit et quart. Lever 08h30, frais et nickel !

 

 

   Evidemment, je suis un peu vexé que l’on me demande de justifier ma demande de médaille, mais j’obtempère par retour de courrier.

 

 

Moulinette sur Veule, le 16 janvier 2025

 

 

 

   Monsieur le Président de la République,

 

   Merci pour votre réponse qui en même temps (1) me rassure et me surprend.

   Me rassure, car à la lecture de votre réponse, je perçois que vous ne doutez pas a priori de la justesse de ma demande.

   Me surprend car je pensais qu’il serait inutile d’écrire la liste des faits qui méritent que je sois décoré.

   Pour résumer : je suis né il y a 54 ans et à ce jour :

-        Je n’ai jamais conduit en état d’ivresse

-        J’ai déclaré à l’administration fiscale la totalité de mes revenus

-     Je n’ai jamais instrumentalisé la protection sociale nationale en simulant un lumbago afin d’obtenir un arrêt de travail de trois semaines dans le but de ne pas subir mon manager et son management préhistorique, de repeindre mon appartement tranquillement ou de profiter des promotions proposées par les croisiéristes pour aller voguer sur un gros bateau en fer, le tout financé par mes concitoyens… Bref, pas d’escroquerie sur mon casier judiciaire.

-  J’ai parfois – une bonne dizaine de fois quand même - eu des envies de meurtres que j’ai su réprimer, canaliser, sublimer (si j’avais le temps je détaillerais les raisons de ces nombreuses envies et vous verriez à quel point vous seriez d’accord avec moi).

-  J’ai connu quelques difficultés financières mais j’ai toujours résisté à mon envie d’imprimer de faux billets, même si je possède une imprimante tout à fait correcte mais qui ne saurait être associée à du matériel de faux monnayeur.

-  Durant les périodes de confinement, je suis toujours sorti avec mon attestation, en respectant scrupuleusement et les horaires et les distances autorisées, même si c’était un peu enquiquinant quand même…

-        J’ai toujours payé mon stationnement sur les zones payantes

-        …

 

   Je pourrais poursuivre cet inventaire élogieux et bien réel mais cela nuirait à mon humilité. De plus, je ne crois pas qu’il soit utile de rajouter des actes héroïques à ceux déjà mentionnés pour démontrer mon civisme exemplaire afin que vous puissiez sereinement décider de me remettre la Légion d’honneur.

 

   Dans l’attente de votre réponse qui, je le sais, sera positive, je vous souhaite Monsieur le Président des tas de chouettes trucs sympas.

 

   Je serai heureux de vous rencontrer lors de la cérémonie de reconnaissance de mes mérites par la patrie admirative que vous représenterez avec bonheur et honneur.

 

Jean-Claude Petitmalin

 

 

PS : en PJ, mon casier judiciaire vierge de toute trace de condamnation civile ou pénale.

PS 2 : Trop bien votre réveillon !

PS 3 : J’allais oublier ! Des potes à la maison…Sympa...Tranquille. On a un peu bu mais tout le monde dormait à la maison donc ça passe crème : « Quand on aime quelqu’un, on le retient »

 

 

   Choqué ! Outré ! Scandalisé ! Vexé ! Offensé ! Froissé !

   Voici la lettre reçue ce matin :

 

 

Paris, Palais de l’Elysée, mardi 23 janvier 2025

 

 

   Monsieur,

 

   Merci pour votre réponse à notre courrier daté du 10 janvier 2025.

   Nous avons lu avec intérêt les actes qui selon vous justifient la remise de la Légion d’Honneur.

   Nous sommes dans l’obligation au regard de cette liste de refuser votre demande.

   En effet, la Légion d’Honneur est remise à des citoyens ayant rendu des services éminents à la Nation.

   Dans votre cas, les faits que vous portez à notre connaissance ne sont que le respect des lois françaises.

   Si leur application ne mérite en aucun cas la remise d’une médaille, leur non-application peut quant à elle, vous exposer à des poursuites judiciaires et occasionner des sanctions pécuniaires ou/et des peines d’emprisonnement.

 

   Vous comprendrez aisément Monsieur, que nous ne pouvons donc pas répondre favorablement à votre demande.

   En cas d’actes futurs de bravoure, n’hésitez pas à nous en faire part afin que nous puissions les prendre en considération pour envisager la remise de la Légion d’Honneur

 

   Bisous

 

   Le Président de le République Française,

Emmanuel Macron

 

 

 

   En ne tuant personne, en conduisant en état de sobriété, en  déclarant vos revenus à l’administration  fiscale et en payant vos impôts, vous ne faites que votre devoir… Et faire son devoir, c’est s’acquitter de ce que l’on doit à son environnement.  C’est en somme la dette que chacun de nous doit honorer.

 

   Ne pas être au rendez-vous de ces obligations, en revanche, c’est prendre le risque du rappel à la loi, de la contravention, ou d’une décision de justice allant jusqu’à l’emprisonnement.

   On perçoit donc la bêtise de Jean-Claude Petitmalin lorsqu’il s’acharne à quémander la Légion d’honneur alors qu’il ne fait que traverser la rue en respectant les passages cloutés et le feu vert.

  L’absurdité de la situation serait encore plus importante si, sans que Jean-Claude Petitmalin n’ait rien demandé, il recevait une lettre de l’Elysée lui déclarant qu’il va recevoir la Légion d’honneur car il a payé ses impôts et n’a pas porté atteinte à la vie de ses concitoyens.

 

   Eh bien, de plus en plus souvent il arrive que l’on constate ce genre de comportement dans les entreprises,  les écoles ou les familles :

   Tristan n’a pas hésité – et sans rougir – à demander lors de son entretien d’évaluation, en regardant droit dans les yeux son manager, une prime de 500 euros car en 2022, il n’est pas arrivé une seule fois en retard. Il a même été jusqu’à menacer de ne plus être ponctuel si la prime ne lui était pas versée et a fait constater à son manager que ses collègues avaient cumulé à cinq plus de dix-sept heures de retard en une année !

   Il sait compter, Tristan !

 

   Une entreprise industrielle a fait monter sur scène lors de la convention annuelle une vingtaine d’ouvriers pour les faire applaudir par l’ensemble de l’entreprise. Le motif : durant l’année, ils avaient porté scrupuleusement et systématiquement leur EPI (équipement de protection individuelle : chaussures de sécurité, lunettes de protection, bouchons d’oreilles, gilets fluorescents…).

 

   Une entreprise de transport ( VTC) qui met en place un système de prime annuelle :

      -  Pas de perte de points sur le permis de conduire : 1 200 € de prime exceptionnelle.

      - Deux points de perdus maximum et le nombre de points restants qui ne descend pas en dessous de 6 points : 400 euros.

      - Au-delà, pas de prime.

   Et ce n’est pas fini :

     - 500 euros de prime pour les chauffeurs qui n’auront dans l’année pas été constatés « positifs » à l’alcool durant leur temps de travail, qu’ils aient ou non été contrôlés par les forces de l’ordre.

     - Et pour couronner le tout, l’entreprise offre les stages de sensibilisation à la sécurité ( qui pour certains sont des stages de re-re-re-re-re-re-re-sensibilisation à la sécurité) permettant de récupérer des points sur le permis et autorise que les stages aient lieu sur le temps de travail et donne une prime de 100 euros pour remercier le chauffeur qui, je cite, « démontre un état d’esprit positif et un sens de coopération aiguë en vue d’un meilleur « vivre ensemble » et « la route, on la partage civilement ».

 

   Après que le directeur de l’entreprise m’a présenté fièrement son système, j’ai posé la question de ce qui avait motivé sa création.

   Réponse : « On a du mal à recruter, alors il faut être attractif ».

 

   Cet équipier polyvalent dans la restauration rapide qui vient demander une prime pour avoir accepté à de nombreuses reprises d’aller ramasser les déchets jetés par les clients à proximité du restaurant. Il prévient aimablement : « Si pas de prime, vous demanderez à quelqu’un d’autre mais ça sera sans moi ». Le directeur du restaurant m’a confié ne pas avoir donné la prime réclamée et depuis demandé l’exécution de cette tâche à d’autres équipiers pour ne pas envenimer la situation et « pourrir » l’ambiance du restaurant.

 

   Cette ministre de la Justice – Rachida D – qui propose en 2009 de donner chaque mois de l’argent aux élèves de lycées dits difficiles, à la condition qu’ils soient présents en cours …

 

   Cette entreprise d’expertise comptable qui octroie une prime trimestrielle aux non-fumeurs pour compenser le temps travaillé en plus que les fumeurs. Selon leur calcul, les fumeurs en moyenne s’arrêtent de travailler douze minutes par jour, soit environ quatre heures de plus par mois que les non-fumeurs. Une prime de 45 € est donc versée, créant une zizanie monstre : des fumeurs demandent la moitié de la prime car ils considèrent qu’ils prennent deux fois moins de temps pour fumer que les gros fumeurs, certains demandent la totalité de la prime car assurent ne jamais prendre une pause indue sur leur temps de travail et d’autres demandent que le calcul soit journalier car s’ils admettent certains jours fumer – mais ça va, on a le droit de vivre quand même ! - en dehors des pauses prévues et payées, estiment en revanche que d’autres jours, ils ne prennent pas une minute pour aller fumer, donnant la priorité à l’urgence opérationnelle plutôt qu’à leur addiction.

 

   Cette cheffe de service d’un pôle administratif qui donne une prime à ses collaborateurs qui en fin de journée ont rangé leur bureau…

 

   Cette infirmière qui demande qu’on lui donne une pause payée de vingt minutes à chaque fois qu’elle doit nettoyer un patient qui a vomi ou, je cite, « s’est fait dessus parce que c’est dégueulasse et qu’il faut bien vingt minutes pour se remettre de l’épreuve ! ».

 

   Ces parents qui offrent un petit cadeau – un scooter, un iPhone 47, une home cinéma, un poney, une boîte de cigares à leur garçonnet de 7 ans, si dans la journée, il n’a pas oublié de dire « s’il te plaît », « merci » et s’est abstenu de proférer des grossièretés.

 

   Ce footballeur de Ligue 1 qui considère que ses performances l’exonèrent des mises au vert avant les matchs importants - c’est pas un Lyonnais qui aurait ce genre de comportement (6) – et qui impose son absence à son club qui accepte sans broncher…

 

   Trop souvent, l’entreprise négocie le non négociable et se fragilise : « Si tu fais ça, je te donne ça… » « Ok, j’accepte que tu ne fasses pas ça – alors que tu devrais - » « Ok, j’accepte de payer pour que tu fasses ça, alors que c’est une partie de ton métier ».

 

   Ou simplement ferme les yeux.

 

   C’est injuste et dangereux.

   Injuste, car on ne doit pas payer une deuxième fois ce qui est déjà payé une première fois.

   Le salaire paie – cf description du poste en annexe du contrat de travail – l’application du port des EPI, le rangement du bureau le soir, le ramassage des déchets à proximité du restaurant, la prise en charge d’un malade qui a vomi – et donc le salarié doit l’action à son employeur. C’est une dette du salarié envers son entreprise.

   On ne félicite pas un personne qui paie ses dettes, en revanche on la relance, voire on la poursuit si elle ne la paie pas.

   L’employeur n’a pas à accepter de recevoir 150 grammes de frites alors qu’il a payé une barquette de 250 grammes.

   L’employeur qui ne se fait pas respecter dans les petites choses ne le sera pas plus dans les grandes décisions.

   Le courage n’est pas une option en management. Et il s’incarne notamment dans la capacité à refuser des demandes délirantes – parce que oui, c’est délirant de demander une prime pour faire ce qui est prévu et payé – et à sanctionner – relationnellement d’abord, c’est procéder à un acte dit d’autorité, administrativement s’il y a récurrence -lorsque le travail n’est pas fait.

 

   C’est injuste de payer deux fois, en donnant des primes à ceux qui ne paient pas spontanément la dette.

   Il n’y a pas à faire acclamer les collaborateurs au rendez-vous de leurs obligations, il y a à sanctionner ceux qui ne le sont pas… Jusqu’au licenciement si c’est nécessaire.

 

   Et puis, c’est dangereux.

 

   En alimentant spontanément le système de la prime qui paie ce qui est déjà payé par le salaire, ou en acceptant la demande des collaborateurs d’être payés deux fois ou de ne pas faire, l’entreprise prend de graves risques, notamment :

- Celui de la surenchère qui sera argumentée et justifiée par les acceptations anormales des revendications dans le passé : « Si les opérateurs ont une prime parce qu’ils mettent leur EPI, j’en veux une si je ne casse pas mon ordinateur dans l’année »

- Celui de l’exaspération de ceux - nombreux - qui comprennent l’aberration de ces situations. Une personne exaspérée se démobilise - c’est dommage car pour être performant, et c’est ce que l’on attend d’un collaborateur, la mobilisation ça aide -  ou s’en va.

- Celui du discrédit managérial qui construit l’échec : un collaborateur ne s’investit réellement que pour un manager crédible, et sans investissement, pas de performance. Et créer de la performance, c’est le travail du manager.

 

   Si vous constatez dans votre service, dans votre entreprise, des incohérences de ce type, il y a urgence à y remédier avec courage et fermeté (6).

   C’est difficile et indispensable.

   La performance durable d’une entreprise est calibrée par sa cohérence.

   Beaucoup de cohérence crée de la performance, un peu d’incohérence crée beaucoup d’échecs.

 

   Et vous qu’en pensez-vous ?

   Bonne réflexion !

 

 

 

 

 

 

 

 

(1)   Toujours fayoter un peu avec les gens de pouvoir.

(2)  Souvent le 1er janvier, petit-dej à base de viennoiseries et confitures maison… Mais il n’y a pas de règles. Je peux tout autant ingurgiter une baguette avec du beurre de cacahuète… Je suis un ouf ! En revanche, pour la réhydratation, du thé et seulement du thé. Je ne transige pas. Il faut savoir se fixer des règles et s’y tenir comme me le dit mon coach de vie Mickael Vendetta.

(3)  Un chanteur

(4) Quand ça vient de la Présidence de la République française, ce n’est pas une vulgaire lettre mais un pli.

(5) Qui a dit que l’Olympique lyonnais ne jouait pas de match important ? Vais aller vous crever vos pneus, ça va pas traîner c’t’histoire !

(6) La fermeté n’ayant rien à voir avec la brutalité et l’agressivité.