Le don, la dette

      Séminaire de quatre jours consécutifs avec une dizaine de participants !

 

 Lundi

 

   J’accueille les stagiaires en leur proposant café, thé et autres boissons chaudes excitantes.

 

Mardi

 

   Avant de rejoindre le lieu du séminaire, j’ai fait un détour par la boulangerie : croissants, chocolatines/pains au chocolat, sacristains, chaussons aux pommes, chouquettes, cramiques, pains aux raisins… Tout le monde devrait trouver son bonheur.

 

   Et en effet ! Les participants se servent et me remercient :

« Délicate attention » Dit Virginie

« Super sympa !» Déclame Rachid 

      « Des chocolatines ! Mon péché mignon ! Merci Rémi ! » S’enthousiasme Sophie.

 

Mercredi

 

   Les viennoiseries fraîches attendent les participants. Tranquillement, ils se servent en café, thé et engloutissent quelques viennoiseries… Sans un remerciement !

 

Jeudi

 

   Pas de détour par la boulangerie.

   Les participants arrivent ensemble. En se servant leur collation, ils en profitent pour m’envoyer quelques messages pas du tout subliminaux :

      « Les viennoiseries, c’est ma grand-mère qui les apporte ? » S’amuse Paul

      « Deux jours de viennoiseries et le troisième jour que dalle !  » Râle Gautier

     « On a mal travaillé hier ? Nos restitutions étaient nulles à ce point ? On est puni ? Privé de croissant ? » S’amuse Delphine

    « Vous avez des oursins dans les poches chez Premiers de cordée ? Ça m’étonne pas, vous êtes Lyonnais » Ironise Stéphane, de Saint Etienne (42)

   « C’est la crise, on sait, mais quand même ! » Analyse Sandra

 

   Je suis content ! J’entends exactement ce que j’espérais !

   J’avais prévu d’évoquer la notion de don et de dette dans la relation managériale, commerciale… Et parfois amoureuse, amicale, familiale.

 

   Voici en quelques mots, mes propos, ce matin-là.

 

   La première fois que l’on fait quelque chose de positif pour une personne ou un groupe, cette action, cette attention sont perçues comme un don. Presque un cadeau ! Les bénéficiaires, bien éduqués, remercient.

   La première réunion/convention, la première invitation au restaurant, le premier entretien de pilotage …

  

   Même chose, lorsqu’on accède à une demande la première fois : la première autorisation d’arriver un peu plus tard, le premier changement d’ordinateur…

   Pour des clients, la première fois que la télévente accepte de « prendre » une commande alors qu’elle est passée après l’heure limite pour une livraison le lendemain…

 

   Le risque, c’est que ce don exceptionnel – au sens, qui fait exception à la norme - peut être très vite perçu comme un droit.

   Et lorsque nous bénéficions d’un droit, « on » nous doit quelque chose. Et nous fournir ce que l’on nous doit, c’est honorer une dette.

 

   Ce qui a été offert une première fois, peut vite devenir la norme dans l’esprit de ceux qui ont reçu, si aucune précaution n’est prise.

 

   Autant on remercie pour un cadeau, un don, autant on ne remercie pas pour ce qui semble être devenu la norme. Et honorer la norme, c’est juste s’acquitter d’une dette.

 

   Lorsque nous payons nos factures - nos dettes -, il est rare que notre fournisseur prenne le temps de nous téléphoner pour nous dire : « Monsieur, j’ai bien reçu votre règlement. C’est vraiment gentil de votre part … Merci mille fois ! Vous êtes un client for-mi-da-ble ! ».

 

   Et personne ne s’offusque de cette absence de remerciement ! On avait une dette, nous l’avons honorée, rien de plus… normal !

 

   C’est la norme.

 

   En revanche, si nous ne payons pas notre dette, le service en charge de suivre les règlements se manifestera. D’abord gentiment -  Sauf erreur de notre part… puis un peu insistant – malgré nos diverses relances, vous n’avez pas ...-, jusqu’à devenir menaçant – Sans règlement de votre part dans les 48 heures…contentieux…intérêt…huissier…frais…affacturage, etc.,  et peut-être même jusqu’à la rupture !

 

 

 

   Il en est de même dans la relation avec nos collaborateurs et nos clients…

 

   Le don initial et exceptionnel peut très vite se transformer en dette. Et lorsque la dette n’est pas honorée, les dents grincent !

 

   Le client : « La semaine dernière on a accepté de m’offrir la livraison à partir de 100 € d’achat et aujourd’hui on me demande d’acheter pour 150 € pour bénéficier de la livraison gratuite ! »

   Le fournisseur « Monsieur, le franco de port se déclenche à partir de 150 €, c’est très clair dans nos conditions de vente »

   Le client : « Ça fait deux mois qu’on accepte de me l’offrir à partir de 100 €… Alors, on continue comme ça ou je change de crèmerie, vous n’êtes pas seul sur le marché ! »

 

   Ou encore :

 

   Le collaborateur : « On ne m’a remboursé que 18 € sur ma note de restaurant alors que j’ai dépensé 22 € »

   Le manager : « 18 €, c’est ce que prévoit la politique de l’entreprise sur les remboursements des repas »

   Le collaborateur : « La dernière fois, tu as accepté des notes à 21 €. Aucune raison que ça change ! »

 

   Et c’est vrai que la dernière fois, l’entreprise a eu un geste pour ce collaborateur qui avait expliqué en écrivant sur sa fiche « notes de frais » : J’ai dépensé 3 euros de plus que le forfait parce

   Le manager qui valide le montant du remboursement avait accepté l’explication de son collaborateur et demandé au service comptable que les 21 euros soient remboursés !

 

   Il y a dans ces situations et dans les réactions du client et du collaborateur, un petit air de « L’usage fait force de loi », non ?

 

   Et souvent, dans l’esprit des bénéficiaires, l’usage, c’est dès la première fois !

 

   Alors, comment éviter la glissade qui oblige à recadrer ou à généraliser le don ?

 

   Deux bons réflexes :

 

   Le premier, c’est de dire de manière particulièrement claire le caractère exceptionnel d’une décision – offrir un déjeuner habituellement à la charge des collaborateurs – ou d’une acceptation, éventuellement en précisant la limite : « Ok, pour que tu termines à 16 h 00 plutôt que 17 h 00 le mardi afin que tu puisses aller voir ton père à l’hôpital. Je valide cet assouplissement pour trois semaines car je ne peux pas m’engager sur une période plus longue. À partir du 17 février, tu reprendras tes horaires habituels ».

 

   Éventuellement, lors de dons particulièrement importants, en formalisant par une note, un mail évoquant le don et le retour à la norme afin d’éviter que le don ne devienne, faute d’explicitation, la norme et donc une dette à honorer.

 

   « Monsieur,

 

   Au regard de notre longue collaboration et de la rareté des incidents de paiement, nous prenons la décision de ne pas vous facturer les frais de recouvrement soit la somme de 130 euros. C’est un geste exceptionnel qui ne pourra en aucun cas être renouvelé. Aussi, nous vous rappelons que nos factures doivent être honorées selon nos conditions … »

 

   « Chère équipe,

 

   Comme vous le savez, les résultats de ce trimestre sont exceptionnellement bons !

   Merci et bravo !

   En guise de remerciement, comme nous vous l’avons annoncé lors de notre réunion de bilan/lancement, nous sommes heureux de vous offrir de manière tout à fait exceptionnelle la journée du 17 mai qui vous permettra de bénéficier d’un viaduc de quatre jours. »

 

 

   Le deuxième réflexe, c’est de s’interroger avant de « faire » la première fois. « Ce que je m’apprête à faire, à accepter, est-ce exceptionnel ou normal ? Est-ce un don ou une dette à honorer ? »

   Si la réponse est « C’est normal », il s’agira alors de renouveler à chaque fois que nécessaire ou de s’engager auprès des bénéficiaires sur une récurrence.

 

   Quelques exemples :

   Je n’ai pas l’habitude de réaccueillir mes collaborateurs après une longue absence et Laurent reprend le travail lundi après 6 mois d’absence. Serait-il normal de ne pas être présent pour l’accueillir le jour de son retour ? Évidemment, non ! Aussi, ce que je regarde peut-être comme un don – l’accueillir -, n’en est pas un… C’est une dette, et mes collaborateurs auraient raison de se plaindre de ce manque de prévenance à leur égard.

 

   Jusqu’à présent, je n’animais pas de réunions d’information. Après réflexion, je me dis que ce serait bien que je propose à mes trois comptables une réunion d’information pour les tenir au courant des mille et une choses qui se vivent dans l’entreprise afin qu’ils ne se sentent pas comme un service à la périphérie, presque comme des prestataires externes, mais bien comme intégrés à l’entreprise. En poussant ma réflexion plus loin, je comprends qu’une réunion unique n’aurait pas de sens. Des informations à donner, il y en a beaucoup trop dans une année. Une fréquence d’une réunion trimestrielle me semble correcte.

   Et puis, je perçois les gains pour mes collaborateurs. Mieux informés sur la vie de l’entreprise, leurs actes comptables auront plus de sens. Ils sauront qui et ce qu’ils servent. Et c’est motivant ! Aussi, je comprends qu’il faut ritualiser la réunion car mes collaborateurs ont le droit d’être informés et d’avoir un manager qui prend soin de leur motivation. Aussi, cette réunion devient une partie de mon offre managériale et donc une dette que je dois honorer car je me suis engagé.

 

   Une dette managériale agréable à honorer, contrairement au paiement de notre facture d’électricité !

 

   Alors, les viennoiseries ? Don ou dette ?

 

   Et vous, qu’en pensez-vous ?

   Bonnes réflexions !