Papa, on joue à la poupée ?

   « Papa, on joue à la poupée ? »

 

   Quentin aimerait tant faire plaisir à sa petite fille de presque deux ans ! Nous sommes samedi, 14h00, et la diffusion d’un match de rugby va commencer dans quelques minutes.  Et en plus, jouer à la poupée, il ne sait pas faire. Trop compliqué comme jeu. Un instant, il est tenté de lui proposer de regarder le match avec lui. Il renonce. Elle risquerait d’accepter, mais dès la cinquième minute, Agathe s’ennuiera et harcèlera son papa…pour jouer à la poupée.

 

   Agathe attend la réponse de son papa.

   « Heu…oui…pourquoi pas…C’est une idée…Une bonne idée…mais…mais…mais tu n’as pas encore fait ta sieste… Après la sieste, on jouera, ma puce… Viens dans mes bras, je t’accompagne dans ta chambre et si tu t’endors sans pleurer, promis, à ton réveil, on joue à la poupée ».

 

   En presque deux ans, Agathe maîtrise plus le fonctionnement de son papa que l’inverse. Elle le sait : inutile de pleurer, de trépigner, de hurler, de menacer… Agathe accepte le deal, sans trop chouiner. Juste un peu. Pour le fun.

 

   Agathe est une chouette petite fille. Elle a dormi le temps du match. Quentin est détendu, son équipe favorite a gagné. Agathe rentre dans le salon et Quentin bêtifie devant « cette grande fille qui a fait un gros dodo pour laisser son papa regarder le match. Elle est gentille, Agathe, avec son papa. ».

   Agathe aimerait dire à son papa qu’il peut arrêter de parler d’elle à la troisième personne du singulier et de la nommer comme s’il lui parlait d’une personne absente. Elle a compris qui ils sont l’un et l’autre. Mais elle a un autre message plus important : « Papa, on joue à la poupée ? »

   « Ben non, pas maintenant, j’ai des tas de trucs à faire, hyper importants en plus ! »

   « Papa, tu me l’as promis ! », répond Agathe, dans un sanglot rempli de déception.

 

   Quentin est de bonne foi. Il ne se souvient pas d’avoir promis à sa fille de jouer à la poupée. Mais il sait qu’à deux ans, le mensonge et la manipulation consciente ne sont pas encore un vice chez sa petite fille. Ça viendra peut-être plus tard…

 

   Alors, Quentin prend la main de sa fille pour aller dans sa chambre, « le royaume rose des poupées ».

 

   Un proverbe chinois…ou sénégalais…à moins que ce ne soit une citation de De Gaulle ou Yannick Noah…enfin bref, dit en substance ceci : « La promesse s’écrit dans le sable de celui qui la prononce et se grave dans le marbre de celui à qui elle est faite »

 

   Rien de plus démotivant et décrédibilisant qu’une promesse non tenue. Des collaborateurs un peu moins motivés, ce sont des problèmes en plus et des résultats en moins. Un manager non crédible n’est qu’un ersatz de manager : il n’impacte rien ni personne.

 

   Alors, avant de faire une promesse, posons-nous quelques questions : « Vais-je vraiment pouvoir la tenir ? », « Est-ce que cette promesse dépend de moi ? » « La promesse que je vais faire n’est-elle pas une manière de botter en touche un vrai problème et de gagner du temps ? ».

 

   Illustrons :

 

   Que c’est difficile de gérer la déception parfois légitime d’un collaborateur à qui on annonce que pour cette année, il ne sera pas augmenté ! Qu’il est tentant alors de faire une promesse : « Des personnes pas augmentées deux années de suite, ça n’existe pas chez nous. Je comprends ta déception mais une année, c’est vite passé ! »

   Est-ce bien raisonnable d’agir ainsi ? Le bénéfice de la promesse est parfois immédiat : le collaborateur se calme, se remobilise et reprend son travail pour une année. Mais que se passera-t-il si dans douze mois, l’augmentation n’est toujours pas d’actualité et que je n’ai pas l’autonomie d’aller à l’encontre de la décision de la direction générale ? Ce ne sera plus une simple déception à gérer, mais une colère légitime d’un collaborateur qui se sent trahi par son manager.

 

   Et nul besoin d’utiliser le mot « promesse » pour que le collaborateur l’entende. Le simple fait de parler d’une réalité future, sans conditions suspensives, est reçu par lui comme un engagement, comme une promesse.

 

   Quelle parade, face à la promesse facile à faire et agissant comme un Doliprane à effet immédiat, mais dangereuse dans le cas où elle ne serait pas tenue ?

 

   Pas de technique, mais un comportement incarné : le courage managérial. Courage qui peut notamment consister à tenir fermement une position déplaisante au managé et le renvoyer à ses responsabilités.

 

   Cela pourrait donner ceci :

 

   Le manager : « Je comprends ta déception, ce n’est jamais agréable de ne pas être augmenté : pour autant, je maintiens cette décision car je la sais juste. »

 

   Collaborateur : « Bon, ok pour cette année, mais l’année prochaine, je veux être augmenté »

 

   Manager : « L’année prochaine, tu seras augmenté s’il y a atteinte des objectifs de progrès dont nous avons convenu. Aussi, je ne peux rien te garantir. Ce sont tes résultats qui diront la décision qui sera prise et rien d’autre. »

  

   Collaborateur : « Si tu ne t’engages pas maintenant à m’augmenter l’année prochaine, je t’informe charitablement que dès ce soir je réactive mon CV sur les jobboards et nos jours de collaboration sont comptés. Des profils comme le mien sont très recherchés et quand je vois tout ce qui est planifié comme interventions, vous serez dans la mouise. »

 

   Manager : « J’apprécie que tu sois clair sur tes intentions. Pour conclure cet échange, je te réaffirme que ton augmentation ne se décide pas un an en amont mais au regard de l’atteinte de tes objectifs. Maintenant, si tu penses qu’il est mieux pour toi de partir, je le regretterai mais je comprendrai. De mon côté, mon désir c’est de poursuivre avec toi dans les conditions énoncées. À toi de poursuivre ta réflexion. Tu ne dois pas rester chez nous frustré car ça ne serait bon ni pour toi, ni pour les clients,  ni pour l’entreprise. Si tu dois nous quitter, fais-le bien, et de notre côté, nous saurons après quelques semaines de turbulences gérer ton départ. Une chose en revanche est certaine : le sujet de ton augmentation, dans le cas où tu décides de rester, ne sera plus abordé avant l’année prochaine. »

 

   C’est un peu ferme, mais… « Il faut ce qu’il faut ! » comme disait Maïté, assommant à coup de rouleau à pâtisserie une anguille très attachée à la vie qu’elle voulait cuisiner…

 

   Autre manière d’incarner le courage managérial : s’engager non pas sur un résultat mais sur des moyens qui dépendent réellement du manager qui s’engage : promettre sur un périmètre que l’on maîtrise.

 

   « Je ne peux pas te promettre que tu seras augmenté l’année prochaine, car la hausse de salaire dépend de tes résultats, donc de toi. En revanche, je peux m’engager sur un accompagnement plus exigeant et plus fréquent pour te mettre dans les meilleures conditions pour progresser… Mais le progrès, c’est toi qui le feras ! »

 

   Pour terminer ce billet, un point de vigilance. Régulièrement, des managés me confient avoir été déçus par des promesses non tenues avec comme conséquence, tant que la déception n’est pas digérée, une importante baisse de motivation.

   Et parfois, les déceptions ne sont jamais digérées !

 

   Avec leur accord, il est arrivé que j’évoque le sujet avec le manager qui, de bonne foi, me dit : « Je n’ai aucun souvenir de cette promesse » ou « Meeeeeerde, j’ai totalement zappé ! »

 

   Aussi, pour vous, collaborateurs, lorsqu’un manager ne tient pas sa promesse, pas de procès d’intention. Non, il n’est pas un suppôt de Satan ; non, vous n’êtes pas dans sa ligne de mire ! Tout comme vous, il peut connaître des défaillances. Alors, avec courage, gentillesse et rondeur, parlez-lui-en ! Rares sont les managers qui, lorsque le message est passé avec délicatesse, deviennent agressifs ou de mauvaise foi. Il y a fort à parier que vous entendrez ce que j’ai entendu (voir ci-dessus), qu’ils seront tout penauds, peut-être même confus, voire rougissants et qu’ils auront à cœur de réparer rapidement leur oubli.

 

   Quant à vous, managers, vous avez tellement de choses à faire que pour ne pas oublier une promesse, le plus simple c’est de la noter !

 

  

   Et vous, qu’en pensez-vous ?

   Bonnes réflexions !