Dénoncez-le au Conseil National de l’Ordre des Médecins !

6h45 !

   La sonnerie de votre smartphone vous a brutalement ordonné de vous lever. Réflexe pavlovien, vous et votre sommeil obéissez et vous dirigez vers la salle de bains. Votre main écrase l’interrupteur, la lumière jaillit, vous refermez les yeux, puis après quelques secondes, les ouvrez à nouveau. La mise au point est faite. Vous pouvez vous voir dans le reflet du miroir.

 

   Mais ce matin-là, ce n’est pas vous que vous voyez dans ce reflet, mais lui ! Lui qui n’existait pas il y a encore sept heures !

   Il est né cette nuit et a choisi votre pommette comme logement. Lui … ou elle : le bouton, le furoncle, la pustule… Le chtar !!! 

  

   Il tombe très mal, ce squatteur ! Dans trois jours, vous avez rendez-vous avec un match Tinder (1). Depuis l’application, puis par téléphone, vous avez papoté et vous êtes envoyé de nombreuses photos. Avec ce chtar, inutile d’honorer le rendez-vous, votre match vous prendra pour un(e) menteur(se) qui a photoshopé ses photos pour les rendre irrésistibles. Au-delà de ça, vous n’assumeriez jamais de vous présenter devant elle/lui avec ce truc qui vous défigure et qui prendra toute la place dans son champ de vision. À moins d’une pathologie psychologique sévère, peu de chance qu’elle/il tombe amoureux(se) de votre bouton !

 

   Pas d’hésitation, il vous faut aller voir un médecin et lui demander un tour de magie : faire disparaître le monstre.   Votre médecin traitant vous propose un rendez-vous dans trois semaines. C’est mort !

   Une idée ! Consulter un site qui propose de prendre son rendez-vous en ligne, en informant le patient des disponibilités des médecins. Vous choisissez  www.mondocteur.com.

   Première recherche dans un rayon de 10 kilomètres autour de votre domicile : rien ! Pas un carabin de libre.

   25 km ! Une disponibilité, ce soir à 18h00. Vous acceptez et confirmez le rendez-vous.

 

   18h23 : le médecin arrive dans la salle d’attente. Vous êtes seul(e). Il vous fixe sans un sourire : c’est à vous !

 

   « Qu’est-ce qui vous amène ? »

 

   « Ce matin au réveil est apparu ce truc monstrueux que vous avez repéré dès que vous m’avez aperçu. Habituellement, je ne serais pas venu pour ça mais, dans trois jours, j’ai un rendez…un entretien d’embauche pour un poste où l’apparence est primordiale. Docteur, il faut que vous me donniez un traitement pour le faire disparaître en quelques jours. Dans le cas contraire, vous porterez sur votre conscience mon célib…mon statut de chômeur/se ».

 

   Le médecin se lève, fait le tour de son bureau pour se planter devant vous, resté(e) assis(e) et entreprend de papouiller votre bouton, sans manifester la moindre émotion, dans un silence absolu qui ne fait qu’accroître votre malaise.

 

   Trois minutes plus tard, il vous tend une ordonnance avec un produit qui va accélérer le mûrissement et le séchage de votre accessoire disgracieux.

 

   « Je ne vous garantis pas que dans trois jours votre peau ne portera pas encore quelques stigmates de votre bouton, mais en suivant le traitement et avec un peu de maquillage « cache-bouton », vous devriez réussir à le dissimuler totalement. Pour le barbouillage, il y a un Sephora à 200 mètres, c’est plus leur compétence que la mienne ».

 

   25 euros et 12 minutes après l’entrée dans le bureau du médecin, vous êtes dehors et soulagé(e). Direction la pharmacie et Sephora pour acheter les armes de destruction massive de votre bouton turgescent.

 

   Mais en fait…jeune fille/homme, dénoncez-le au Conseil National de l’Ordre des Médecins, ce toubib !

  

   Ce type est une bombe à retardement, un danger public ! Son job, ce n’est pas de répondre à une demande esthétique, ni de faire disparaître un symptôme, mais de rechercher la cause du signal faible - le bouton – qui peut être la conséquence d’une cause originelle à rechercher. Et c’est bien la cause qu’il va falloir traiter, pas le symptôme.

 

   « Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt…»   C’est précisément ce qu’a fait ce médecin en piétinant allégrement l’éthique médicale ! Le symptôme lui indiquait les directions possibles de la cause, il fallait un peu investiguer ! Mais c’est son job, détective de cause…puis soigneur dans un second temps.

 

   On reprend :

 

   « Je comprends que ce soit en effet important d’être le plus présentable possible face à un potentiel futur employeur, et je vais vous préconiser dans un instant quelques onguents adéquats. Mais avant, j’aimerais comprendre ce que ce bouton veut nous signaler… Peut-être pas grand-chose d’ailleurs, mais je veux en avoir le cœur net. »

 

   Et là,  un chapelet de questions suivies d’un temps d’écoute active pour s’assurer d’avoir une réponse complète.

 

   « Des changements dans votre vie récemment ? », « Votre sommeil ? » « Prise ou perte de poids ? » « Stress, irritabilité ? » « Sport ? » « Antécédents médicaux ? » « Hérédité ? » « Remontée gastrique ? »

 

   Puis un examen clinique : prise de tension, palpation abdominale, examen des aires ganglionnaires, examen ORL…

 

   Probablement une conclusion juste et rapide, suivie d’une mise en garde : « La période de Noël est terminée, on se calme sur le chocolat ! Ce bouton, c’est votre foie qui se plaint. Alors, vous allez le respecter ou il va vous le faire payer cher. À partir de maintenant et pendant 3 semaines, je vais vous préconiser un régime alimentaire et de l’activité physique ! J’espère que vous aimez les brocolis, choux-fleurs, choux verts, choux de Bruxelles, choux-raves… Et un petit détour chez Décathlon s’impose ! »

 

    Parfois, une enquête approfondie sera nécessaire : analyse sanguine, radios, scanner... afin de déterminer la cause et d’y apporter le bon traitement.

 

   Nos collaborateurs peuvent nous « envoyer » des signaux faibles comme le foie « envoyait » le bouton : petit retard, erreur inhabituelle, disparition du sourire, objection de principe en réunion, refus de mission nouvelle, incident relationnel avec un collègue, un client, un manager, revendication surprenante…

 

    Ces signaux faibles sont des symptômes, à deux conditions. La première, c’est qu’ils soient en rupture avec un comportement habituel positivement différent :

        - habituellement, mon collaborateur sourit, et depuis quelques jours, il fait la gueule.

        - il est 100 % fiable, et cette semaine trois erreurs de préparation de commande.

        - jamais un mot plus haut que l’autre, cette semaine trois engueulades !

 

   La deuxième, c’est que ça dure un peu ou que plusieurs symptômes apparaissent simultanément.

 

   Bref, « une hirondelle ne fait pas le printemps ! » (1)

 

   Le symptôme, c’est la bouteille envoyée à la mer. La bouteille n’est pas le message, mais le contenant. Celui qui envoie une bouteille à la mer espère que si quelqu’un la trouve, celui-ci ne se contentera pas de regarder le doigt - la bouteille-, mais la lune -le message -.

 

   « Tiens, une bouteille ! Les gens sont dégueulasses, ils balancent tout et n’importe quoi. Vite, une poubelle ! »

   Absurde, non ?

 

   « Une bouteille ! Il y a un message dedans…Vite, ouvrons-là pour en prendre connaissance et porter secours au malheureux expéditeur ! »

 

   Lorsqu’un seul signal perdure ou que les signaux faibles sont multiples – ça devient un orchestre bruyant –, il y a urgence à agir !

 

   Pour bien comprendre, regardons-nous un peu : souvent, on ressent que l’on ne va pas bien et on prend soi-même rendez-vous chez le médecin.

   Parfois, on fuit notre malaise, voire on ne perçoit pas que l’on ne va pas bien. Dans ces cas-là, c’est une personne proche qui nous conseille de consulter ou qui prend directement le rendez-vous médical.

 

   Même chose avec nos collaborateurs. Les signaux faibles négatifs, les ruptures dans les comportements habituels disent que le collaborateur n’a pas l’énergie nécessaire pour être lucide face à une situation dans son monde difficile ou/et le courage d’en parler posément et proactivement : prendre rendez-vous lui-même !

   Alors, lorsqu’apparaissent les symptômes, rencontrons notre collaborateur pour lui donner la possibilité de s’exprimer. Rencontrons-le, mais sans lui parler dans un premier temps, ni même lui reprocher les signaux faibles… Au risque qu’il argumente sur les symptômes ou se taise. Parler des symptômes, c’est totalement hors-sujet car l’objectif, c’est qu’il parle de la cause réelle…

 

   La seule à traiter.

 

   La disparition des symptômes sans y avoir touché sera l’indicateur que la cause a été identifiée et bien gérée.

 

   La grande difficulté de l’exercice, c’est qu’en rencontrant le collaborateur, on n’a souvent aucune idée de ce que l’on va découvrir. Ou, comme le disait la maman de Forest Gump : « La vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber ».

 

   La cause réelle : un problème personnel, familial, privé ? Un problème professionnel ? Manque de moyens ? Sentiment de ne pas être reconnu ? Problème résoluble – il galère avec un nouveau logiciel et nous avons la possibilité de le faire former par le fournisseur - ou irrésoluble – il ne supporte plus le travail en open space mais c’est le parti pris absolu de l’entreprise ?

 

   La réponse dépendra du vrai sujet. Parfois, la simple verbalisation du problème suffira à le rendre plus léger ou à le faire disparaître.

 À d’autres moments, il faudra mettre en place un plan d’action - un protocole, pour filer la comparaison médicale - plus long et exigeant, mais indispensable.

   Parfois, il conviendra de renvoyer le collaborateur à sa responsabilité et à réfléchir à ses choix pour qu’il ne rentre pas dans une spirale morbide de victimisation et qu’il se positionne clairement face au problème : il accepte le réel ou se met en route vers un autre avenir !

 

   Les réponses sont aussi nombreuses que les causes, c’est d’ailleurs ce qui rend le métier de manager aussi difficile et passionnant. Ou plutôt…si difficile, donc passionnant !

 

   Terminons ce billet/chapitre avec un message pour les managers et un autre pour les collaborateurs.

 

   En tant que manager, vous n’avez pas une obligation de résultat quant à la découverte de la cause. Si le collaborateur ne veut pas dire, vous n’aurez pas les moyens de l’obliger à dire. Vous avez en revanche des obligations de moyens : 1. Observer vos collaborateurs ou « manager aux cernes sous les yeux » pour voir les symptômes. 2. Les rencontrer. 3. Créer les conditions d’un entretien qui favorise la confiance qui permettra au collaborateur d’ouvrir les chakras et d’exprimer la cause.

 

   En tant que collaborateur, vous n’êtes jamais obligé de dire la cause réelle d’un malaise, mais c’est dangereux. Lorsqu’on garde pour soi son problème, on en devient totalement responsable et on ne peut reprocher au manager de ne pas s’adapter. « Il ne faut pas que le crabe qui s’enterre se plaigne si on lui marche dessus » (2)

 

   Et vous, qu’en pensez-vous ?

   Bonnes réflexions !

 

 

(1) Ne faites pas semblant de ne pas comprendre, ça ne prend pas !

(2) Citation attribuée à Stéphane Plaza, mais sans garantie d’authenticité…