Pourquoi il ne faut presque jamais demander "Pourquoi" ?!

ou : " Comment renforcer la paranoïa de celui qui échoue"

« POURQUOI tu es arrivé ce matin avec 20 minutes de retard ? »
« Pourquoi tu as oublié d’envoyer le rapport de visite à ton client ? »
« Pourquoi tu n’as pas atteint l’objectif de taux de rebut de 1,8% »

Ah bon ? Il ne faut pas utiliser le « pourquoi » ? Et pourquoi ?
En fait le titre est une filouterie, car il y a des « pourquoi ? » très pertinents.

En revanche, il y a essentiellement deux types de situations pour lesquelles demander « Pourquoi ? » est un peu maladroit.
Et c’est là le sujet de ce billet.

Premier type de situation : lorsqu’il s’agit de recadrer un collaborateur après une dérive comportementale ou un hors-jeu métier. En d’autres termes, lorsqu’un collaborateur n’applique pas une exigence non négociable dans votre structure, entreprise ou service.

L’objectif de la rencontre avec le collaborateur est de le ramener dans le cadre. Inutile de demander lors d’un entretien « Pourquoi ne portais-tu pas tes lunettes de protection ce matin ? », « Pourquoi es-tu arrivé en retard ? » Ce « pourquoi ? » présente deux inconvénients. Le premier, c’est qu’il renvoie au passé alors que mon objectif est uniquement situé dans le futur. Un futur très proche - rappeler l’exigence - et un futur infini - ne plus constater le hors-jeu. Poser la question « Pourquoi », c’est laisser penser à mon collaborateur que selon sa réponse, je recadrerai fermement et sans agressivité ou j’échangerai avec empathie sur sa difficulté à appliquer l’exigence. À notre « pourquoi ? », peu de chances que le collaborateur réponde : « Ben chef, euh…j’ai merdé. Je suis désolé. À l’avenir ça n’arrivera plus, tu peux compter sur moi ! ».
 
 
Pas impossible.
Peu probable. 
 
On doit plutôt s’attendre à une réponse qui justifie le hors-jeu. Nous sommes tous capables de plaider non coupable lorsqu’on nous reproche un hors-jeu, quitte à bricoler un plaidoyer un peu grossier et un tantinet affabulateur qui justifie qu’il ne pouvait pas en être autrement : « Une montgolfière s’est posée sur l’autoroute, alors forcément, ça a mis le bazar, d’où mon retard…Voilà, voilà… ». Et là, deux possibilités :

- On fait semblant d’y croire : « Ah ok, je comprends. Donc ben là…euh…en effet, c’est pas pareil… » en laissant penser au collaborateur que l’exigence est non négociable sauf s’il a une bonne raison. Mais…mais…nous avons toujours tous d’excellentes raisons d’être hors-jeu. Pensons à la dernière fois qu’un représentant de l’autorité nous a arrêtés alors que nous conduisions en téléphonant !

- On ne fait pas semblant d’y croire et on entame un échange sur le plaidoyer : « Arrête de me prendre pour ce que je ne suis pas ! » « Il y avait des embouteillages ce matin ? Tu rigoles, je suis venu en voiture et le périph était fluide comme jamais ! » « Hein, tu ne savais pas qu’il fallait envoyer le rapport d’expertise dans les 48 heures suivant la visite ? Tu plaisantes, j’espère. J’en reparle à chaque réunion. Tu veux qu’on demande à un de tes collègues si oui ou non l’exigence est connue ? Ah ben tiens, y’a Paul qui passe, on va lui demander. Paaaaaul…tu peux venir une minute, j’ai quelque chose à te demander ? », ce qui inévitablement aboutira à un échange long, inutile, auquel le manager mettra un terme brutalement, en tapotant de sa main le haut de son épaule : « Ce que tu vois là, c’est pas des traces de pneus mais des galons ! Alors maintenant, tu arrives à l’heure et puis c’est tout ! ». Avec comme conséquence un collaborateur qui, constatant que son manager est « passé en force », lui accordera un crédit beaucoup moins fort. Et c’est important le crédit managérial, non ? Lorsqu’on recadre, notre seule obsession, c’est l’avenir « dans les clous ». Parfois, la justification sera honnête… Et alors ? Qu’est-ce que ça change ? Rien ! « Tu me dis qu’il y avait du monde sur le périph…Bon, ben, alors…Ok. Je comprends. 
 
 
Essaie de voir si quand même tu peux essayer d’arriver à l’heure, hein ? ». Evidemment, cette réaction managériale n’est pas envisageable ! La demande qui conclut un entretien d’autorité – respecter l’exigence - ne dépend aucunement de la réponse au « pourquoi » du hors-jeu, que la raison soit réelle ou imaginaire. Alors ne demandons pas « Pourquoi ? » : perte de temps et d’efficacité !
 
S’il est nécessaire d’écouter passivement le collaborateur plaider sa cause, faisons-le, mais sans l’inviter à s’exprimer explicitement, ni même lui demander « Pourquoi » mais en se contentant d’un simple silence, après avoir calmement et factuellement évoqué l’écart.

Deuxième type de situation pour laquelle le « pourquoi » construit insidieusement une impasse relationnelle ou opérationnelle plutôt qu’une ouverture vers une solution ou une remise en question : lors d’une erreur ou d’un échec.
« Pourquoi tu as eu 4 en math ? » demande un père à son rejeton
« Pourquoi tu n’as pas respecté la priorité à droite ? » demande le mari à sa moitié, qui vient de lui annoncer par téléphone que la voiture a subi une métamorphose rapide l’associant plus à une compression de César qu’à un véhicule familial…

Ce « pourquoi ? » lors d’une situation négative, dégradée et souvent stressante réactive dans le cerveau un chemin de souffrance qui amène à se justifier, fuir ou agresser. 
 
 
Pour comprendre, faisons un petit, moyen ou grand saut dans le passé : vous avez 13 ans, vous êtes élève en 4ème C au collège public Paul Préboist* et Madame Michalaud** vous a rendu votre contrôle de math : 4/20. Pas terrible. Vous rentrez à la maison et courageusement, vous annoncez la note à vos parents. « Pourquoi tu as eu 4 en math ? ». Eh oui, dans notre enfance, le « pourquoi » était utilisé essentiellement pour demander des explications lorsque nos parents constataient un écart négatif entre ce qu’ils attendaient et ce qu’ils constataient. Et notre cerveau pensait : « En fonction de ce que tu vas raconter, tu risques trois semaines d’interdiction de sorties, de télé, de dessert ou moins ». Alors, le plus souvent, l’explication n’avait qu’un seul but : éviter la sanction. Généralement sans aucune efficacité ! « D’accord, j’ai eu 4, mais la moyenne de la classe c’était 3…Cette prof est dingue, j’te jure Papa…et en plus tu me crois pas ! De toute façon, vous ne m’avez jamais aimé ! ».

Aussi, des années plus tard, lorsque lors d’échecs ou d’erreurs, on demande « Pourquoi ? », cela réveille une mécanique de défense : le plaidoyer – c’est pas de ma faute-, la fuite - souvent dans un mutisme total- ou l’agression : « Pourquoi j’ai grillé la priorité et abîmé ta voiture ? Tu me demandes pourquoi ? Je vais te le dire. Parce que c’est ta voiture et qu’elle te représente ! Tu l’aimes tellement, ta voiture ! Tu t’en occupes plus que moi : tu la caresses, tu la bichonnes, tu lui parles ! Oui, tu lui parles. Tu penses que je ne te vois pas ? Mais si, je te vois. Tu lui parles ! RI-DI-CU-LE. Et comme tu me sors par les yeux mais que ma mère m’a toujours dit qu’on ne devait pas frapper son mari, eh bien je me suis vengée. En abîmant ta voiture, qui n’est qu’une extension pas seulement symbolique de ta personne, c’est toi que j’atteins. Ça m’a fait un bien fou ! Voilà, t’es content ? Je l’ai fait exprès !!!! Exprèèèèèèèès ! »

 
 
 
Evidemment qu’elle ne l’a pas fait exprès. Mais face à ce « pourquoi » maladroit, la réaction l’a été tout autant. Et en plus, elle l’aime son mari, c’est sûr !

Dans le cadre d’un échec, d’une erreur, la question plus pertinente pourrait être : « Raconte-moi ce qui s’est passé ». Question qui induit une envie de comprendre plus que de juger. Le « pourquoi » étant inconsciemment la question du juge qui décidera de la lourdeur de la peine, alors que le « raconte-moi » sera celle du médecin qui veut comprendre pour accompagner.

Question du médecin dont chaque manager peut s’inspirer !
 
 
 
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Bonnes réflexions !
 
Rémi ARAUD
06 37 69 20 19
remi.araud@premiers-de-cordee.com
 
* Paul Preboist : Comédien. Vedette. Star.
** Madame Michalaud (née Moucheboume) : en plus d’être professeur de mathématiques, elle est aussi et surtout la sœur de Monsieur Moucheboume, patron du papa du Petit Nicolas. C’est pas rien quand même !