Difficile comme "Bonjour"

« J’ai dit que tu vas apprendre à dire bonjour…La chose la plus importante dans la vie. Si tu dis bien bonjour, t’as fait la moitié du chemin »

Vous avez reconnu ? Bravo, vous êtes d’incollables cinéphiles. Cette réplique, c’est celle de Sam Lion –Paul Belmondo – dans Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch (1988). Ce programme personnalisé de formation « Comment bien dire bonjour », Sam Lion va le faire suivre, presque subir, à son jeune poulain, Albert–Richard Anconina. Albert va devoir s’intégrer dans une entreprise et créer un climat de confiance pour récolter de nombreuses informations. Informations dont il a besoin pour réussir sa mission. Il va lui falloir tellement plus de savoir-faire que la simple maîtrise du « Bonjour ». Il devra maîtriser l’art de poser les bonnes questions, d’écouter, de se taire, de creuser, de relancer, de tempérer, de bluffer, de lâcher du lest, de s’adapter à son interlocuteur, de faire le forcing… Le simple « Bonjour », c’est une évidence, ne suffira pas.

De la même manière, aucun manager ou vendeur ne réussira son année 2016 grâce à la maîtrise d’une figure managériale ou commerciale aussi simple que l’accueil quotidien des collaborateurs ou la prise de contact avec les prospects/clients. Mais nombreux sont ceux qui, prenant de la distance avec le « Bonjour », risquent de le payer cash en démobilisation, revendication, turn-over, demande de baisse de prix…

Quel rapport entre « l’accueil du matin », « la prise de contact commercial » et….des revendications de moyens luxueuses d’un collaborateur (moyens de temps, d’accompagnement ou de matériel) ou des objections plus nombreuses d’un prospect/client ? Le même qu’entre le claquage du muscle de la cuisse d’un tennisman après une heure de match et l’absence d’entraînement la semaine le précédant et d’échauffement avant l’affrontement. Les omissions, les maladresses et les « à peu près » se paient rarement immédiatement… Car un « à peu près » une fois ne provoque rien de gravement négatif. En effet, un échauffement zappé le mardi sera toléré par les fibres musculaires si cet entraînement manqué est isolé au milieu de cinquante entraînements effectués. Un accueil du matin un peu rapide- je serre la main de ma collaboratrice sans la regarder et lorsqu’elle me répond à « bien passée ta soirée, hier ? », je suis déjà quatre mètres plus loin - ne la démobilisera pas si, majoritairement, mes prises de contacts quotidiennes avec elle sont faites et bien faites. Une absence de regard souriant pour « dire » à une personne qui vient de rentrer dans mon magasin « Bonjour Madame, je vous ai vue et je suis heureux de votre venue, je termine de servir ce client avec la même attention que je le ferai pour vous dans quelques minutes, je vous remercie pour votre patience » ( si, si, on peut faire passer tout ça par un regard, il suffit d’un peu de pratique et de conviction…), cette absence de regard ne fera probablement pas fuir un client fidèle ou en besoin absolu de votre produit. Un papa qui vient chercher la nuit un médicament pour soulager l’otite de son fiston se moquera bien de l’absence de sourire du pharmacien d’astreinte cette nuit-là !

Et c’est d’ailleurs bien là que commence le piège ! En ne payant pas « cash » et immédiatement par une blessure mon entraînement zappé, par un peu de démobilisation de ma collaboratrice un accueil du matin survolé ou par un départ du client de mon magasin une absence de regard accueillant, une petite voix intérieure commence son travail de sape : « Tu vois mon canard, en ne disant pas bonjour qualitativement et individuellement à chacun de tes cinq collaborateurs ce matin tu as gagné cinq minutes précieuses. Et en fin de journée, le travail qu’il devait effectuer a été fait ! Allez, on sort la calculette ! Juste pour se faire plaisir. Alors, on a dit 5 minutes par 215 jours égale 1075 minutes, soit 17 heures, soit deux petites journées de boulot par an ! Bien gentil l’accueil du matin, très « je suis un manager proche de mes collaborateurs » mais… chérot quand même ! Plus de deux jours ! Tu ne crois pas que tu pourrais les investir avec bénéfice ailleurs ? Sommeil ? Rentrer un peu plus tôt ? Ranger ton bureau avant de partir ? »

« Malheur à celui qui écoute complaisamment la petite voix de la lâcheté ! » disait le prophète Faisgaffeàtonchiffresd’affaires… Et combien il a raison le prophète Faisgaffemachinettoutlereste… Nos petits écarts, nos petits renoncements, nos petites lâchetés, auto-justifiés par de toujours excellentes raisons : « Juste une fois…faut pas être rigide quand même ! » « Ils n’ont pas eu de bons résultats ce mois parce qu’ils ont mal bossé, je vais leur montrer mon mécontentement en prenant un peu de distance avec eux en les niant le matin », « Je viens de l’augmenter de 25 € mensuels…il va bosser sans avoir besoin d’un câlin matinal pendant au moins trois mois…. », « C’est bon, ils sont cadres ! Si en plus il faut leur dire bonjour chaque matin, c’est la preuve qu’ils ne sont pas capables de l’être ! » - auront après quelques mois de manquement ou de « Bonjours » dans la lettre mais sans l’esprit, raison de la motivation de nos collaborateurs et clients…

Mais pourquoi ce bonjour du matin est-il donc si important pour qu’il justifie à lui seul ce billet ? Dans les écoles de commerce on n’en parle pas. Pas plus que dans les livres sur le management. Pas une ligne…

Dire bonjour est essentiel car, avant d’être un(e) collaborateur(trice), celui à qui je dis bonjour est un être humain. Mais il n’est vraiment un être humain dans la relation que je lui propose que si je me comporte avec lui/elle comme tel…C’est-à-dire en lui redisant que je le considère comme un être humain (et non pas uniquement comme un apporteur de compétences pour un collaborateur ou de CA pour un client) par la qualité de la prise de contact quotidienne qui redonne vie à notre relation. Bref, en le reconnaissant inconditionnellement. C’est-à-dire sans être télécommandé par mes ressentis d’hier : « Elle m’a remis un dossier exceptionnellement bien ficelé » ou « Il m’a planté 20% de la production », sans être parasité par les demandes que je vais lui exprimer aujourd’hui : « Ce serait bien qu’il reste plus tard ce soir j’ai besoin de lui…Pense à soigner ton « Bonjour » ce matin ». Inconditionnellement, gratuitement. Car la dignité de nos interlocuteurs n’a pas de prix…Et lorsqu’un interlocuteur se sait respecté inconditionnellement, il peut commencer à avoir envie de faire des choses pour son manager.

Je ne dis pas « Bonjour » parce que ça motive…Je le fais parce que je veux signifier à mon interlocuteur que quel que soit son passé, quelque soit notre histoire commune, aujourd’hui est un jour nouveau et mon regard sur lui est un regard neuf. Et si ce « Bonjour » gratuit provoque de la motivation, tant mieux !

C’est là tout le sens du « Si tu dis bien bonjour, t’as fait la moitié du chemin » de Sam Lion.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Bonnes réflexions.